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Les nanotechnologies sous surveillance

Les pratiques | publié le : 26.04.2011 | LAURENT POILLOT

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Les nanotechnologies sous surveillance

Crédit photo LAURENT POILLOT

Même sans connaissance avérée de la dangerosité des nanomatériaux, les pouvoirs publics recommandent de protéger la santé des salariés. Peu d’entreprises ont pris les devants.

« Les nanomatériaux sont potentiellement toxiques. Il faut les considérer comme une nouvelle famille d’agents chimiques. » C’est la recommandation que fait systématiquement Myriam Ricaud, ingénieur chimiste, expert conseil à l’INRS, à chacune de ses interventions. La prise en compte de l’exposition des salariés est insuffisante, alors que l’industrie mondiale recourt à des dizaines de milliers de tonnes de nanomatériaux manufacturés chaque année.

Effet amiante…

Plusieurs fabricants ont pris les devants. Beaucoup moins les industries intégratrices, issues par exemple des secteurs automobile (selon l’INRS, environ 10 kg de nanomatériaux entrent dans la fabrication d’un véhicule), cosmétique et agroalimentaire. Ni PSA ni Renault, que nous avons contactées, ne se sont exprimés. Aucune réponse non plus de L’Oréal ni de Danone. Toutes ces entreprises se fournissent pourtant en silice, dioxyde de carbone ou noir de carbone, qui sont les nanomatériaux les plus utilisés.

A l’heure actuelle, les inquiétudes sont concentrées sur les nanotubes de carbone, prisés pour leurs propriétés de résistance et de légèreté, mais dont l’effet fibre a été comparé à celui de l’amiante. « Leur inhalation peut conduire à des fibroses ou à des cancers pulmonaires », affirme Myriam Ricaud, se référant à des expérimentations sur des rats.

Au-delà, peu de certitudes. La dangerosité des matériaux diffère suivant leur dimension, leurs propriétés physico-chimiques et leur composition. « Les premières études toxicologiques sont difficilement comparables, déplore Myriam Ricaud, car on ne sait pas toujours la taille des produits qui ont été observés. Leurs auteurs, qui sont des toxicologues, n’ont pas pour habitude de caractériser les matériaux. »

Onze normes publiées

Une définition internationale partagée se fait toujours attendre. Le comité de normalisation ISO TC 229, créé en 2005, traite cette question : il a déjà publié 11 normes et 40 sont en cours d’éla­boration. Principal consensus : l’échelle nanométrique pertinente. Un nanomètre équivaut à un milliardième de mètre. « Il est au mètre ce qu’un pamplemousse est à la terre », traduit Myriam Ricaud.

En France, l’Institut de veille sanitaire (INVS) vient de lancer une démarche de surveillance épidémiologique. Tandis que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) propose un outil, le control banding, que Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique, définit comme « un outil de gestion graduée des risques liés à l’usage des nanomatériaux en milieu professionnel ». Faute de mesures atmosphériques, l’Anses propose de corréler deux niveaux d’observation : les bandes de dangers (la collecte des caractéristiques de toxicité, à l’état non nano) et les bandes d’exposition (suivant le potentiel d’émission dans l’atmosphère et la forme des produits, en poudre ou en suspension liquide). Le croisement des résultats doit permettre d’analyser sa maîtrise du risque.

« Le coût pour l’entreprise est surtout celui du système de protection à mettre en œuvre », résume Gérard Lasfargues. « La bonne nouvelle, confirme Myriam Ricaud, est qu’on sait protéger les salariés, car on sait que les filtres utilisés pour la ventilation générale ou la protection individuelle constituent une barrière efficace vis-à-vis des nanomatériaux. »

Prévention et investissement dans la sécurité

En Aquitaine, Arkema y travaille depuis 2002. L’entreprise a installé à Mont un site pilote de production de nanotubes de carbone, à quelques kilomètres de ses centres de recherche. Ce site doit viser une production de 400 tonnes par an, avec une quinzaine de salariés. « Nous avons surinvesti dans la sécurité, de l’ordre de 50 % par rapport à une installation classique, déclare Patrice Gaillard, responsable du projet nanotubes. Nous avons travaillé avec l’Ineris, avec l’INRS, le BGIA (1), le CEA et d’autres spécialistes. » L’ergonome Alain Garrigou et le professeur de médecine du travail Patrick Brochard, de l’université de Bordeaux, ont ainsi participé au projet.

Arkema a simulé des dysfonctionnements et éprouvé la réaction des matériels de détection et de filtrage. S’ils ne portent pas de scaphandre, les opérateurs sont cependant dotés d’équipements de protection individuelle sophistiqués. L’entreprise s’est inspirée des systèmes de vannes étanches de l’industrie pharmaceutique. Les zones de maintenance sont confinées. L’air y est filtré et les locaux équipés de sas de décontamination. Des précautions s’appliquent jusqu’à la distribution des produits.

La prévention liée aux nanotechnologies a jusqu’ici échappé aux fourches caudines de la réglementation Reach. La loi Grenelle 2 imposera bientôt aux industriels de déclarer les usages, les quantités et la composition chimique des nanoproduits qu’ils fabriquent, importent ou utilisent. Les décrets d’application en préparation pourraient abaisser les seuils soumis à déclaration dès le premier kilo, suivant les classes de produits. De source bien informée, c’est à l’Anses que reviendra l’immense travail de collecte des données…

(1) Institut allemand pour la santé et la sécurité au travail.

L’essentiel

1 Les entreprises industrielles utilisent des dizaines de millions de tonnes de nanomatériaux, dont les trois principaux sont la silice, le dioxyde de carbone et le noir de carbone.

2 Les pouvoirs publics recommandent de les considérer comme dangereux pour la santé. Mais rares sont les entreprises qui, à l’image d’Arkema, affichent des démarches préventives.

3 Les mesures prescrites pour protéger les salariés sont similaires à celles liées aux produits chimiques.

Auteur

  • LAURENT POILLOT