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Les pratiques

Le modèle Servier sous pression

Les pratiques | Retour sur… | publié le : 26.04.2011 | MARIE-MADELEINE SÈVE

Rétifs à tout dialogue social, les laboratoires ont pourtant été précurseurs sur la formation et la parité. Mais le paternalisme maison pourrait ne pas survivre au scandale du Mediator.

« Le bras de fer avec le ministre de la Santé, c’est la goutte de trop… Les salariés sont très inquiets pour leur avenir, assène un élu du personnel chez Servier. Et ce n’est pas la récente mise en place d’une cellule psy accessible à tous via un numéro vert qui va suffire à les rassurer. »

Un moyen bien dérisoire, alors que l’intransigeance du patron, Jacques Servier, refusant d’indemniser l’intégralité du préjudice subi par les victimes du Mediator, couplée à la menace de suspension de vente du Vastarel, achèvent de ravager le moral des troupes. Frustrées, en plus, par une communication interne parcellaire et cloisonnée.

Dans la nébuleuse des sociétés

Opaque pour l’extérieur, l’organisation des laboratoires, qui relèvent de deux conventions collectives – chimie et pharmacie – l’est tout autant pour les collaborateurs. Difficile de se repérer dans la nébuleuse des entités juridiques du deuxième groupe pharmaceutique français. Dans l’Hexagone, Servier qui emploie 5 000 salariés (20 000 dans le monde), compte pas moins de 27 sociétés et 6 réseaux de visite médicale. Un éclatement commode pour étouffer toute velléité contestataire. La bête noire du patron, qui rejette toute idée de CCE ou de CE européen.

« Partout, c’est la chasse aux syndicalistes, confirme Jean-Paul Choulant, responsable de la CFDT Chimie-Energie en Haute-Normandie. Nous protégeons nos adhérents qui préfèrent rester dans l’anonymat. Sauf deux d’entre eux qui ont été élus sous nos couleurs au collège ouvriers le 10 mars dernier chez Oril Industrie à Bolbec (principes actifs, 739 salariés). » Une révolution dans la firme qui ne compte que 3 délégués CFDT et, depuis peu, une dizaine d’élus Unsa qui seraient, eux, inféodés à la direction.

Avec une telle paranoïa, ne rentre pas chez Servier qui veut. Les méthodes de recrutement bien rodées sont draconiennes. Tout candidat, du manager à la secrétaire, doit indiquer trois références professionnelles et trois personnelles, la plupart étant visitées ensuite par un enquêteur. « Il cherche à vérifier un caractère, un mode d’existence, un environnement. Pour moi, j’ai su qu’il était surpris que je puisse mener de front une vie de famille prenante et de lourdes responsabilités, explique une cadre supérieure au siège. Mais je pouvais demander à lire son rapport de synthèse. » Un réel assouplissement depuis que les laboratoires ont été épinglés par la Cnil en 1999 pour avoir truffé d’annotations discriminatoires un fichier de 50 000 candidats.

La fin d’une époque

Contrepartie de ces pratiques autocratiques, une certaine prodigalité de Servier à l’égard de ses collaborateurs. En particulier en matière de rémunération. « A une époque, c’était “prends l’oseille et tais-toi”, raconte un ex-directeur régional. On ne pouvait pas émettre une seule critique sur le fonctionnement, ni dedans ni dehors. » Une image qui ne résume plus le contrat social à la Servier. D’abord, le culte du secret a du plomb dans l’aile, selon certains managers, parce qu’avec l’arrivée de la génération Y depuis dix ans, ce n’est plus possible. Ensuite, les salaires sont revenus à la moyenne du marché. Enfin, le laboratoire peut capitaliser sur des innovations RH mises en œuvre de longue date, notamment plusieurs dispositifs de partage de la valeur. Le plan d’intéressement distribue jusqu’à un mois de salaire en plus. Les salariés bénéficient aussi d’un plan d’épargne groupe, d’une retraite par capitalisation, sans compter que l’entreprise double tous les ans ses cotisations Agirc-Arrco, dès neuf ans d’ancienneté. Cette année, Jacques Servier a décidé d’une enveloppe d’augmentation de 3,5 % et réfléchit à la mise en place d’un Perco.

Côté conditions de travail, le personnel n’est pas mal loti malgré la pression des chiffres. Les chercheurs, par exemple, apprécient la réactivité du patron, capable de débloquer en 15 jours 300 000 euros pour un équipement performant, alors qu’il aurait fallu six mois chez les concurrents. Chacun a droit à 30 jours de congés et 20 jours de RTT. En outre, pionnier dans l’installation du DIF, le groupe met le paquet sur la formation, surtout pour ses commerciaux et pour les jeunes talents qu’il cherche à promouvoir. D’ailleurs, il y a deux ans, les entretiens d’évaluation se sont professionnalisés, avec un support écrit. Autre avancée, la place faite très tôt aux femmes sur tous les métiers. Elles représenteraient 50 % des cadres si l’on en croit le site web.

L’atypisme du groupe Servier va-t-il résister à la crise traversée par le laboratoire ? Ses CRH (conseillers en RH) aux ordres des deux DRH maison tiendront-ils le choc ? Car, avec la facture élevée de l’affaire du Mediator, le maintien de l’emploi reste une inconnue. Servier se targue de n’avoir jamais fait de plan social. Il a pourtant signé une foultitude de ruptures à l’amiable. Et 45 visiteurs médicaux volontaires – mais dispersés sur les 6 réseaux – vont partir avec leurs indemnités et une prime de 10 000 euros. Portage de neuf mois et congé de reclassement à la clé.

Auteur

  • MARIE-MADELEINE SÈVE