Marin Ledun, Le Seuil, 320 pages, 18 euros.

Même les médecins du travail ont le droit de craquer. Les conditions du travail dans les centres d’appels ne génèrent pas seulement du stress pour les employés mais aussi pour leurs thérapeutes, impuissants à soigner les salariés qui viennent les consulter comme à se faire entendre des directions. Le burn-out les gagne, surtout quand ils sont, comme c’est le cas du D^r Carole Matthieu, eux-mêmes victimes d’une agression sur leur lieu de travail.

De la logique suicidaire à la logique agressive se met alors en place un jeu de bascule incessant, qui conduit le D^r Matthieu à se sentir responsable de la vie de ses patients déprimés et à envisager des solutions plutôt expéditives pour les tirer d’affaire. Avec ce roman à double détente, puisqu’il décrit le stress des salariés à travers le récit à la première personne d’un médecin du travail qui a perdu les pédales, Marin Ledun nous place au centre d’une logique implacable de la culpabilité, engendrée par la volonté de l’entreprise d’augmenter sans cesse la productivité.

L’intérêt du roman n’est pas tant de surfer sur la vague de la dénonciation des conditions de travail que de saisir dans toute sa complexité l’intrication des motifs professionnels et personnels de décompensation. Notons aussi, comme cela semble être souvent le cas, que Carole Matthieu a disjoncté pour avoir un peu trop pris à cœur son boulot, comme si coller de trop près à la mission était au fond le premier risque professionnel. Etrange et édifiant.

Marin Ledun est romancier et auteur, entre autres, de Pendant qu’ils comptent leurs morts (La Tengo, 2009).