E & C : Confrontées à des tentatives d’entrisme du Front national, plusieurs organisations syndicales ont récemment dû réagir. Comment jugez-vous cet épisode ?

T. R. : La CGT a été la première à réagir en suspendant le mandat d’un de ses représentants en Moselle pour s’être présenté sous l’étiquette FN aux élections cantonales. Elle a réagi avec clarté, cela a contribué à ce que FO fasse de même.

E & C : Cet entrisme est-il réellement important ? Comment l’expliquer ?

T. R. : Si la CGT “démandate” un candidat FN, si elle écrit à tous ses secrétaires fédéraux, si elle signe une déclaration commune (CFDT, FSU, Solidaires, Unsa) contre le FN, c’est que ce n’est pas anodin. A la CGT, cette situation s’explique par le fait que le syndicat, moins structuré idéologiquement qu’il ne l’était auparavant – il ne fait plus référence au socialisme –, est davantage perméable à des courants qui ont le vent en poupe. FO est dans la situation inverse puisqu’elle est historiquement anticommuniste.

E & C : Le Front national peut-il créer des syndicats dans les entreprises ?

T. R. : A priori non. Un syndicat ne peut pas porter le même nom que le Front national. Or ce qui intéresse ce parti, c’est justement d’engranger les bénéfices de sa notoriété dans le monde du travail. Mais même si le FN voulait créer un syndicat ne portant pas son nom, deux arrêts de la Cour de cassation du 10 avril 1998 s’y opposeraient. Celle-ci estime d’une part qu’il est possible de contester la régularité des statuts d’un syndicat, ce qui, à l’époque, n’était pas évident. D’autre part, un syndicat ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques ni aller contre le principe constitutionnel de non-discrimination. Or la préférence nationale va contre ce principe.

Enfin, pour créer un syndicat, il faut trouver des personnes aguerries qui acceptent de s’engager. Pour toutes ces raisons, il est plus facile pour le FN de faire de l’entrisme que de créer son mouvement syndical.