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L’égalité est réalisée, et même un peu plus !

Enquête | publié le : 01.03.2011 | EMMANUEL FRANCK

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L’égalité est réalisée, et même un peu plus !

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

L’écart entre la rémunération principale des salariés et des salariées d’EDF est pratiquement inexistant, voire à l’avantage des femmes. C’est le résultat d’une politique volontaire des partenaires sociaux, qui n’ignore pas le travail sur les mentalités.

Chez EDF SA, les écarts de salaire entre les hom­mes et les femmes étaient de 4,7 % en 2004 en faveur des premiers ; de 1,7 % en 2007, et de 0,6 % en 2009 au dernier pointage. Autant dire que l’égalité salariale est réalisée dans cette entreprise composée au trois quarts d’hommes. Les syndicats et la direction s’accordent sur ce point. Cependant, ces indicateurs ne concernent que la rémunération principale (à l’exclusion des rémunérations liées à la fonction – dont les astreintes – et à la performance); ils n’incluent pas les dirigeants ; ne rendent pas compte des écarts qui demeurent au sein de la catégorie des cadres ; et ne prennent pas en compte l’ancienneté : à ancienneté égale, les femmes gagnent 2 % de plus que les hommes.

Hormis ces bémols, et compte tenu du fait que « la grille des salaires d’EDF aide beaucoup à l’égalité salariale », rappelle Anne Delaroux, négociatrice de l’accord sur l’égalité professionnelle pour la CFE-CGC, il s’agit d’un bon résultat, à mettre sur le compte de l’action volontaire de la direction et des syndicats.

Celle-ci a été formalisée dans deux accords signés en 2004 et 2007. Les deux textes prévoient notamment un dispositif de rattrapage des écarts de salaire anormaux entre les femmes et les hommes, décentralisé au niveau de la soixantaine d’établissements que compte EDF, et qui emploient entre 500 et 1800 salariés. En 2009, il y a eu 252 rattrapages au titre de l’égalité professionnelle dont 158 en faveur de femmes et 94 pour des hommes. Le dispositif fonctionne en effet dans les deux sens.

Etat des lieux annuel

« Chaque année, un examen des écarts anormaux est réalisé au niveau de chaque établissement. Il s’agit d’établir un état des lieux statistique de la situation salariale des femmes et des hommes par niveau d’emploi, en tenant compte de l’ancienneté acquise, explique Catherine Delpirou, directrice reconnaissance et vie au travail. Les écarts signalés par le management, le salarié ou ses représentants sont analysés et corrigés le cas échéant, grâce à des augmentations individuelles de rattrapage qui ne présagent pas d’augmentations au titre du professionnalisme. »

Une analyse dynamique venue du “terrain”

A cette analyse “statique” des écarts prévue par les accords, la pratique des acteurs de terrain a également ajouté une analyse “dynamique” qui n’est pas inscrite dans les textes. « Si un agent est resté quatre ans au même niveau de rémunération, nous interpellons la direction, car nous savons que les augmentations interviennent en moyenne tous les trois ans », illustre Carole Luissier, représentante de la CGT à la commission égalité professionnelle d’EDF SA. Les syndicats jouent donc un rôle central pour articuler les indicateurs produits au niveau de l’établissement avec les rattrapages individuels. L’efficacité du dispositif suppose une forte implantation syndicale et un dialogue social qui fonctionne.

Au cours du premier accord, entre 2004 et 2007, les rattrapages ont été financés par une enveloppe dédiée de 1,5 % de la masse salariale, soit 2,4 millions d’euros sur trois ans, attribués localement. « Quatre ans après, les écarts étant globalement résorbés, les rattrapages sont maintenant imputés sur le budget normal », explique Catherine Delpirou.

Suppression de l’enveloppe dédiée

Anne Delaroux évoque également une utilisation dévoyée de l’enveloppe dédiée pour expliquer sa suppression : « Des directions ont utilisé l’enveloppe égalité professionnelle pour distribuer des augmentations en fait liées à la performance ; parmi les agents concernés, certains n’ont pas apprécié. » Les rattrapages au titre de l’égalité professionnelle doivent désormais être justifiés, mais cet épisode souligne la difficulté à communiquer sur une mesure de discrimination positive (lire encadré p. 23). « Le rattrapage salarial ne rencontre pas de résistances, parce qu’il est juste, qu’il bénéficie aux femmes comme aux hommes et que les syndicats le soutiennent… Mais il est vrai qu’il y a eu des réactions de femmes, qui ne voulaient pas qu’on pense qu’elles progressaient pour d’autres raisons que leurs compétences », reconnaît Catherine Delpirou.

Sensibilisation sur les stéréotypes

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’accord de 2007 comporte un volet sur les mentalités, prévoyant des actions de communication et de sensibilisation. Catherine Delpirou rappelle à ce propos que « le taux de participation aux réunions de sensibilisation sur les stéréotypes est l’un des critères de l’accord d’intéressement ». La direction et les syndicats ont également cosigné une plaquette et un CD-Rom à destination des salariés.

A partir du second semestre 2011, les partenaires sociaux commenceront à négocier un nouvel accord. « Si nous ne refaisons pas un accord, nous nous retrouvons dans cinq ans avec les mêmes écarts qu’avant », estime Anne Delaroux.

EDF SA

• Activité : production et commercialisation d’électricité.

• Effectif : 60 000 salariés, dont 24 % de femmes.

• Chiffre d’affaires 2009 : 66,3 milliards d’euros, dont la moitié en France.

La discrimination positive : efficace mais source de tensions

Tous les spécialistes des questions d’égalité mettent en garde : faire de la discrimination positive – le rattrapage salarial en fait partie – sans lutter contre les préjugés augmente le risque que la mesure soit rejetée. Cela n’a pas été le cas chez EDF, mais les résistances n’ont pas manqué.

Les éléments de langage en témoignent, selon Stéphane Chérigié, secrétaire fédéral en charge de la diversité et de l’égalité à la fédération des industries électriques et gazières de la CFE-CGC. Dans la jargon d’EDF, le rattrapage salarial au titre de l’égalité professionnelle s’appelle “NR éga-pro”. NR signifie “niveau de rémunération”, un des deux piliers du système de rémunération d’EDF. Ce dispositif a beau contribuer à l’égalité professionnelle, concerner les hommes autant que les femmes, et compenser un écart injustifié pour ne pas dire une discrimination, Stéphane Chérigié explique que d’aucuns l’appellent parfois “NR rose”. La couleur rose est évidemment associée à la féminité. “NR rose” devient alors un synonyme péjoratif d’augmentation obtenue par une femme, voire parce qu’elle est une femme, et non pas en raison de ses performances.

Or cette augmentation pour d’autres raisons que la performance n’est pas seulement mal perçue par ceux qui n’en bénéficient pas mais aussi par ceux qui en bénéficient. Carole Luissier, de la CGT, raconte une anecdote : « Avant, nous affichions les noms de ceux qui avaient obtenu un avancement. Mais des agents nous ont demandé de ne plus annoncer les avancements au titre de l’égalité professionnelle : ils avaient trop honte de ne pas progresser sur leurs compétences. Depuis, nous n’affichons plus rien. » Pour elle, la solution aurait été que « la direction affiche que le rattrapage était obtenu en compensation d’un préjudice, mais elle n’a jamais voulu ».

E. F.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK