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La Cour de cassation met en garde les maisons mères

L’actualité | publié le : 15.02.2011 | CÉLINE LACOURCELLE

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La Cour de cassation met en garde les maisons mères

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

La cessation d’activité d’une filiale et le lot de licenciements économiques qui l’accompagne n’iront plus de soi. C’est en substance ce qu’augurent deux arrêts rendus à quelques jours d’intervalle par les Hauts magistrats.

Ce sont deux décisions qui pourraient bien faire date dans le droit du licenciement économique (lire encadré ci-contre). Un premier arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2011 sonne la fin de la cessation totale d’activité comme motif autonome de licenciement économique : dorénavant, pour le permettre, la cessation devra être justifiée par des difficultés économiques, mutations technologiques ou mesures de sauvegarde de la compétitivité. La décision donne également un sens nouveau au “groupe” en précisant que la maison mère, lorsqu’elle exerce la direction effective d’une filiale, a le statut de coemployeur.

Dans le second arrêt, rendu deux semaines plus tard, ce sont les choix stratégiques d’un groupe, en l’occurrence Good-year Dunlop, à l’égard de sa filiale à 100 % (K-DIS), qui sont pointés du doigt par les juges.

Dominique Paucard, responsable du pôle restructuration de Syndex, salue ces décisions qui ont le mérite, selon lui, d’éclaircir la notion juridique complexe de groupe, alors même que la France en compte plus de 40 000 employant 57 % des salariés*.

« C’est une nouvelle avancée du droit dans la reconnaissance de l’organisation moderne de l’entreprise », souligne-t-il.

Contentieux

Certains montent déjà au créneau sur des contentieux passés ou en cours. Ainsi, le syndicat CGT de l’usine de Goodyear d’Amiens-Nord, engagé depuis 2007 dans un conflit avec le groupe de pneumatiques américain, aurait saisi cette nouvelle jurisprudence pour assigner l’industriel devant le TGI de Nanterre.

De son côté, Alexandra Soumeire, l’avocate de 140 salariés de l’usine Continental Clairoix (Oise), entend bien invoquer l’argumentaire de la Cour de cassation lors de l’audience de conciliation prévue le 17 février prochain. Même si, dit-elle, « il confirme notre position fondée, d’une part, sur la désignation de la société allemande comme responsable et, d’autre part, sur la contestation du motif économique lié à la cessation d’activité d’un établissement appartenant à un groupe réalisant des bénéfices. »

D’autres lui emboîteront sans doute le pas. Car il serait étonnant qu’aucun des PSE recensés chaque année par le ministère du Travail (1 191 en 2010) ne ressemble au cas de Mécanique Industrie Chimie (MIC), qui faisait l’objet de cet arrêt de janvier. A commencer par celui de Recylex (ex-Metaleurop), dont la filiale Metaleurop Nord avait été mise en liquidation judiciaire en 2003. La société estimait n’avoir aucune responsabilité envers sa filiale, alors que les avocats des salariés ont plaidé l’absence d’autonomie de gestion et la notion de coemployeur. Le 17 décembre 2010, ces derniers ont été suivis par les juges de la cour d’appel de Douai, qui accordait des indemnités à d’anciens salariés. La société s’est pourvue en cassation… « Peu de groupes socialement responsables aujourd’hui se permettent de quitter la France en invoquant le seul motif de cessation totale d’activité », relativise Johann Sultan, avocat au cabinet Jeantet Associés.

Recherche de motifs

Les représentants du personnel, la direction départementale du travail ou encore le préfet les attendent sur le motif. Même s’il ne sera pas simple à qualifier. « Les DRH d’entreprises de bonne taille peuvent fournir aux juges des données en matière d’intelligence économique justifiant de leur mauvaise compétitivité », précise Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH.

Il sera néanmoins intéressant d’observer les actions collectives envisagées en amont des licenciements, à l’occasion même de l’information-consultation du comité d’entreprise : « Si les représentants du personnel parviennent à ce stade à démontrer l’existence d’un coemploi, la maison mère deviendra alors leur interlocuteur », envisage Dominique Paucard.

Pour l’heure, il reste aux DRH à anticiper cette notion de coemploi. La société mère ne peut pas déposséder sa filiale de toute autonomie à la fois opérationnelle et de gestion. Ce qui demande d’impliquer les filiales dans les options stratégiques. Cela passe aussi, pour Johann Sultan, par de vrais services RH actifs au sein des filiales, ce qui faisait cruellement défaut chez MIC.

* Source : Tableaux de l’économie française, édition 2010, Insee.

Les grands arrêts du licenciement économique

• 25 juin 1992 : les possibilités de reclassement du salarié s’apprécient à l’intérieur du groupe auquel appartient l’employeur concerné.

•  5 avril 1995 : une réorganisation peut constituer un motif économique si elle est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe à laquelle elle appartient (arrêt Vidéocolor).

• 13 février 1997 : en cas d’absence de plan social, la réintégration des salariés est prononcée (arrêt Samaritaine).

• 11 janvier 2006 : une réorganisation est légitime dès lors qu’elle a été mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir (arrêt Pages Jaunes).

Les deux décisions de la Cour de cassation

• Dans l’arrêt du 18 janvier 2011, la Cour de cassation juge infondé le licenciement économique d’une soixantaine de salariés, prononcé en 2004 dans le cadre de la fermeture de la société Mécanique Industrie Chimie (MIC). Les juges relèvent la bonne santé financière du groupe allemand JFH, propriétaire de MIC, qu’ils considèrent responsable du destin des salariés.

• Pour appuyer son propos, la chambre sociale avance que JFH absorbait 80 % de la production de sa filiale, fixait les prix, dictait les choix stratégiques. Cette confusion « d’intérêt, d’activité et de direction » permettait de conclure à l’absence d’autonomie de MIC. En conséquence, « JFH avait la qualité de coemployeur à l’égard du personnel » de sa filiale. La cessation d’activité est irrecevable.

• Dans l’arrêt du 1er février 2011, les juges rétablissent, pour un groupe intégré, l’autonomie de la cessation totale d’activité en tant que motif économique de licenciement, sauf s’il y a faute de l’employeur ou légèreté blâmable. « Autrement dit, la mise en œuvre de choix purement stratégiques pour améliorer sa rentabilité au détriment de la stabilité de l’emploi », commente Me Johann Sultan du cabinet Jeantet Associés. Afin de dégager des économies d’échelle et d’améliorer sa rentabilité, K-DIS, filiale du groupe Goodyear-Dunlop, avait annoncé l’arrêt de son activité en 2006, entraînant le licenciement économique de ses 17 salariés.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE