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Service minimum pour les seniors

Enquête | publié le : 08.02.2011 | CAROLINE FORNIELES

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Service minimum pour les seniors

Crédit photo CAROLINE FORNIELES

L’impression d’un manque d’ambition des accords et plans seniors conclus fin 2009-début 2010 se confirme un an plus tard, dans un contexte économique qui favorise toujours les départs des plus de 50 ans. Mais, pour les experts, cette première étape pourrait servir à construire une vraie politique d’emploi des seniors dans les entreprises, dès lors qu’elles abordent plus frontalement la question centrale des conditions de travail.

Trente-trois mille neuf cents plans ou accords sur les seniors dans les entreprises et 80 accords dans les branches, concernant plus de 12 millions de salariés : le bilan fièrement dressé par le gouvernement en septembre dernier a l’évidence des grands chiffres. Seules 250 entreprises ont préféré payer l’amende prévue par la loi de financement de la sécurité sociale de 2009 (LFSS) et ses décrets. De « bons résultats chiffrés », qui masquent pourtant une situation contrastée. Seuls un tiers de ces textes sont des accords négociés en bonne et due forme avec les partenaires sociaux. Les autres sont de simples plans d’action proposés par les directions.

Une situation à laquelle s’attendaient de nombreux experts dès avant la fin de l’ultimatum gouvernemental, en janvier 2010, dénonçant le manque d’ambition de dispositifs qui ne serviraient souvent qu’à éviter la pénalité (lire Entreprise & Carrières n° 979). Après des années d’échec, le gouvernement prétendait pourtant « frapper fort » sur l’emploi des seniors. La LFSS pour 2009 imposait ainsi aux entreprises de conclure un accord senior avant janvier 2010 (1er avril pour les PME de moins de 300 salariés) sous peine de pénalité (1 % de la masse salariale). Objectif : atteindre rapidement le taux d’emploi de 50 % pour les 55-64 ans, fixé par la Commission européenne. Au dernier pointage trimestriel de 2010, ce taux n’est que de 40 %.

Rédaction à la va-vite

« Beaucoup d’entreprises ont attendu la sortie du décret avant d’agir. Il n’est paru qu’en juin 2009. Restaient alors quatre mois pour négocier, ce qui est trop peu quand on a une faible expérience du sujet », rappelle Tiphaine Garat, ingénieure d’études de l’Institut du travail de Strasbourg. Le sociologue Serge Guérin, professeur à l’ESG Management School, est encore plus sévère : « Beaucoup d’entreprises ont été attentistes et ont fait preuve d’un certain opportunisme. On trouve quantité de plans d’action rédigés à la va-vite, sortes de “copier-coller” du décret, qui ne comportent que des objectifs très généraux. »

Pilote d’un groupe de travail sur ces accords à l’Anvie, Serge Guérin déplore le manque de volonté et de créativité : « Les accords négociés les plus intéressants émanent d’entreprises qui sont déjà mobilisées sur les conditions de travail. Et au final, peu d’accords s’attachent au cœur du sujet, à savoir l’emploi des seniors. »

Des mesures simples à mettre en œuvre

La plupart des entreprises se sont contentées de retenir, comme le décret le leur permettait, trois des six domaines d’action possibles… les moins contraignants : développement de compétences, anticipation des carrières et transmission des savoirs et tutorat, à l’exclusion notamment de l’embauche et de l’amélioration des conditions de travail (lire p. 22). La plupart ont privilégié ce qu’elles faisaient déjà, à savoir l’entretien de seconde partie de carrière, préconisé dès l’ANI sur la formation de 2005, ou se sont engagées sur des mesures simples à mettre en œuvre, comme le tutorat.

Autre critique : l’absence de contrôle par l’Etat de leur mise en œuvre. « Le respect des objectifs n’est pas une obligation. Le suivi repose uniquement sur la mobilisation des signataires de l’accord », déplore Anne Jolivet, chercheuse à l’Ires. « Et, conformément à la loi, les syndicats non signataires de l’accord n’ont pas à être invités aux commissions de suivi, ce qui est regrettable », ajoute-t-elle.

Les confédérations syndicales restent d’ailleurs très sceptiques sur l’efficacité réelle de ces accords. « Il y a une grande part d’affichage et de communication, car les entreprises ne sont tenues à aucun résultat », note Eric Aubin, en charge du dossier à la CGT. Pour Stéphane Lardy, secrétaire confédéral FO, « l’erreur majeure a été de ne pas imposer la négociation de ces accords. Les plans d’action ne sont pas satisfaisants. C’est pourquoi nous exigerons partout des accords négociés. »

« On peut relever quelques exemples intéressants, comme à Montblanc, qui propose aux personnels de nuit des postes de jour. Mais, dans l’ensemble, on peut douter de la sincérité d’objectifs très rarement chiffrés », déplore Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, qui souligne sur cette question « l’hypocrisie des employeurs. Alors qu’ils se félicitent du recul de l’âge de la retraite, ils sont incapables d’embaucher des seniors, voire de les garder ! »

Départs anticipés

Dans un contexte économique difficile, les seniors restent en effet les plus concernés par les licenciements, les plans de départs volontaires ou anticipés. Le chômage des plus de 50 ans a augmenté de 16,3 % en 2010. Le nombre élevé de ruptures conventionnelles touchant les plus de 45 ans pose aussi question. Le plan social de Sanofi-Aventis (915 personnes) en cours de négociation sera assorti de mesures d’âge. L’accord pénibilité de Renault, qui a embarrassé le gouvernement juste après l’adoption de la réforme des retraites, prévoit le départ à 57 ans des salariés les plus usés (lire p. 27). Mais d’autres accords l’avaient précédé. Chez Rhodia, le départ a été ouvert à 60 ans, soit deux ans avant le nouvel âge légal de la retraite (lire p. 26).

Des décisions qui rejoignent souvent les vœux des salariés. Les dockers se battent ainsi pour conserver les conditions qui leur avaient été accordées dans le cadre de la réforme portuaire, soit un départ à 58 ans, au titre de la pénibilité. Après avoir semblé valider cette réforme, le gouvernement ne leur concède plus que deux ans avant l’âge l’égal, soit 60 ans.

« Il est illusoire de parler de maintien dans l’emploi à quelqu’un qui a travaillé toute sa vie dans des conditions très pénibles et qui est physiquement usé, estime Eric Babin, directeur de mission chez Vigeo. Cela doit nous conduire à changer les pratiques : renforcer la formation et la mobilité, mieux anticiper la gestion des emplois et des compétences, et mieux prévenir la pénibilité. »

Une position partagée par les syndicats, qui ne souhaitent pas limiter les discussions avec le Medef au bilan des accords seniors. FO et la CGT veulent imposer une réflexion sur les modes d’organisation du travail, avec une attention particulière aux nouvelles formes de pénibilité liées à une pression de plus en plus forte du management. La CFDT souhaite quant à elle mettre l’accent sur des parcours professionnels plus diversifiés par un accès à la formation tout au long de la vie.

Les accords seniors ont-ils été un coup d’épée dans l’eau ? « Ils ont au moins servi à poser la question du sort des plus de 50 ans dans toutes les entreprises », estime Fabienne Caser, chargée de mission au département compétences, travail, emploi de l’Anact. « C’est un bon début pour guérir de la culture des préretraites, ajoute Eric Babin. L’obligation de suivi par des indicateurs devrait permettre de sortir des déclarations d’intention en mesurant concrètement les progrès. » Le dispositif contribue aussi à faire reculer certaines idées reçues. « Les accords seniors entérinent le fait que l’improductivité des seniors est bien un mythe, analyse Serge Guérin. On reconnaît ainsi leur savoir-faire et la nécessité d’organiser sa transmission. »

« Un point d’ancrage »

Bien qu’imparfaits, ces accords constituent, pour Jean-Christophe Sciberras, président de l’association nationale des DRH, « un point d’ancrage à partir duquel les entreprises pourront retravailler ». « Et il y a lieu d’être optimiste. Avec de plus en plus de seniors dans leurs effectifs, les entreprises sont de plus en plus motivées à agir », commente-t-il.

Un bilan des résultats, y compris négatifs, permettra d’améliorer les mesures proposées. « Une méthodologie plus précise fournie par les pouvoirs publics pourrait les y aider. Elle sera essentielle pour leur renégociation en 2012 », souligne Tiphaine Garat.

L’essentiel

1 Les plans seniors ne seraient pas à la hauteur de l’enjeu : le taux d’emploi des seniors frémit, mais ne décolle toujours pas.

2 Ces plans permettent néanmoins d’évaluer la situation des plus de 50 ans dans chaque entreprise et peuvent constituer la première pierre d’une politique seniors.

3 Si des entreprises font encore partir les salariés âgés les plus exposés, d’autres aménagent les fins de carrière pour les conserver plus longtemps.

Auteur

  • CAROLINE FORNIELES