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Enquête

Les limites des sanctions financières

Enquête | publié le : 25.01.2011 | EMMANUEL FRANCK

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Les limites des sanctions financières

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

En deux ans, les gouvernements ont créé quatre nouvelles sanctions financières à l’encontre des entreprises qui ne remplissent pas leurs obligations en matière de négociations salariales, de séniorité, de pénibilité et d’égalité entre les hommes et les femmes. Les entreprises se montreront-elles pour autant plus vertueuses ?

Handicap, apprentissage, salaires, seniors, égalité professionnelle, pénibilité. La liste des sujets soumis à des sanctions financières s’allonge : en deux ans, les gouvernements de l’actuelle majorité en ont créé quatre nouvelles (lire encadré p. 24). La loi sur les retraites du mois de novembre expose ainsi à une pénalité de 1 % de la masse salariale les entreprises qui ne se sont pas engagées sur la pénibilité. Il en est de même pour celles qui ne remplissent pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle.

Ces deux pénalités, dont le ministère du Travail prépare actuellement les décrets, s’ajoutent à celle, de 1 % également, sur les seniors. Quant aux entreprises qui ne négocient pas sur les salaires, elles risquent, depuis 2009, une « diminution de la réduction » de leurs charges sociales.

Le gouvernement frappe au portefeuille

Exit donc les incitations, du type publicité des bonnes pratiques ou name and shame : le gouvernement semble avoir décidé que, pour faire bouger les entreprises, il fallait les frapper au portefeuille.

Pour Daniel Martins, directeur de la prospective et du développement du cabinet Leyton, spécialisé en optimisation budgétaire, ce passage d’une politique de la carotte à celle du bâton marque une évolution de la doctrine des pouvoirs publics, qui « veulent que les entreprises ne soient pas seulement un centre de profits mais aussi un partenaire privilégié de l’Etat » dans le domaine sociétal (lire son interview p. 29).

La création de ces quatre sanctions financières en moins de deux ans ferait presque oublier qu’il en existe au moins deux autres, bien plus anciennes, dans les domaines du handicap (la contribution Agefiph, renforcée depuis une loi de 2005) et de l’apprentissage (surtaxe de 0,1 % en plus de la taxe d’apprentissage de 0,5 %).

Des objectifs et des modalités qui diffèrent

Quelques comparaisons entre les nouveaux dispositifs et les anciens éclairent les logiques à l’œuvre, qui sont très différentes. Le levier de la sanction financière est à chaque fois le même, mais les objectifs, les modalités et les calendriers diffèrent et, partant, les arbitrages des entreprises, comme les résultats obtenus.

Ainsi, l’objectif des “sanctions” sur l’apprentissage et le handicap est d’inciter les entreprises à atteindre un quota, tandis que celles sur les salaires, les seniors, l’égalité et la pénibilité doivent les conduire à produire un texte (accord ou plan unilatéral) sur ces sujets.

Actuellement, il n’y a que 250 entreprises soumises à la pénalité seniors (les autres sont donc couvertes par les 34 000 accords et plans d’entreprise ou par les 80 accords signés dans les branches), tandis que 57 000 entreprises versaient une contribution à l’Agefiph en 2008, parce qu’elles n’atteignaient pas le quota de 6 % et n’avaient pas signé d’accord handicap. Au regard du nombre d’entreprises sanctionnées, le dispositif seniors serait donc plus efficace que celui sur le handicap.

Pas si simple : « Il est plus facile de parvenir à un texte sur les seniors que d’atteindre le quota de personnes handicapées, ce qui demande un aménagement du poste de travail », remarque Stéphanie Stein, avocate en droit du travail associée au cabinet Eversheds.

Cela n’exclut pas, toutefois, que les sanctions aient quand même un effet vertueux sur l’attitude des entreprises à l’égard des personnes handicapées et des seniors. Le problème est que l’évolution de leur taux d’emploi n’est pas le seul indicateur, dans la mesure où le calcul de celui des travailleurs handicapés a changé avec la loi de 2005, tandis que le taux d’emploi des seniors dépend notamment du facteur démographique.

Mais il existe d’autres moyens de décrypter l’attitude des entreprises. La mise en place du 1 % seniors début 2010, comme le vote en 2005 d’une loi sur le handicap beaucoup plus contraignante (contribution jusqu’à 1 500 fois le Smic par unité de salarié handicapé manquante), ont eu pour conséquence immédiate qu’elles se sont massivement tournées vers les cabinets de conseil. Dans le premier cas, elles sont allées voir les avocats pour savoir comment parvenir à un accord ou à un plan.

Le bilan qualitatif de ces textes reste encore à établir ; le gouvernement a promis de s’y employer. Mais une première étude sur échantillon réalisée par la Direction générale du travail l’année dernière ainsi que les témoignages des avocats ne laissent guère planer de doutes sur la faible qualité des textes auxquels sont parvenues les entreprises, dont la plupart ont attendu les dernières semaines avant l’échéance pour s’atteler à la tâche. Le délai était, de toute manière, très court.

Le même scénario est d’ailleurs en train de se produire avec les dispositifs égalité et pénibilité : moins d’un an avant l’échéance, les entreprises, hormis celles impliquées de longue date, ne se mobilisent pas. « Les décrets d’application n’étant pas publiés, on ressent beaucoup d’attentisme de la part des entreprises », témoigne Emmanuelle Rivez-Domont, avocate en droit social au cabinet Jones Day.

Comme le 1 % seniors, la surcontribution créée par la loi handicap de 2005 a également mené les entreprises vers les cabinets spécialisés.

Progrès dans l’emploi des handicapés

Certes, nombre d’entre elles ont d’abord cherché à échapper à la surcontribution Agefiph, notamment en achetant des prestations au secteur protégé (lire Entreprise & Carrières n° 1010 du 13 juillet 2010), mais la loi de 2005 a quand même eu pour conséquence que « les entreprises cherchent davantage à recruter des collaborateurs handicapés », estime Valérie Tran, directrice associée du cabinet spécialisé dans le handicap Ariane Conseil. L’Agefiph relève d’ailleurs que le nombre de personnes handicapées recrutées via Cap Emploi a progressé de 8 % entre 2007 et 2008.

Hormis les montants ou les assiettes, la destination des fonds prélevés en vertu des sanctions a son importance. Ainsi, la contribution Agefiph et la taxe d’apprentisssage sont redistribuées vers les populations cibles via des structures dédiées. Tandis que les 1 % seniors, égalité et pénibilité, de même que les réductions d’allègements de charges pour non-négociation sur les salaires (le gouvernement a promis un bilan des encaissements début 2011), alimentent les caisses de la Sécurité sociale. Dans le premier cas, les entreprises et les acteurs du handicap et de l’apprentissage disposent d’un budget (l’Agefiph a engagé 584 millions d’euros en 2008) pour financer leurs actions, pas dans le second cas. C’est pourquoi, « s’il doit y avoir un arbitrage des entreprises entre les différentes populations sur lesquelles elles veulent concentrer leurs actions, elles iront plus facilement là où il y a un budget ; c’est un facteur aidant pour les politiques handicap », explique Valérie Tran.

Des sanctions binaires ou modulables

Enfin, les sanctions financières peuvent être soit binaires, soit modulables, comme le remarque Daniel Martins. Ainsi, la contribution Agefiph diminue à mesure que la proportion de travailleurs handicapés augmente. De même, les pénalités “pénibilité” et “égalité” seront modulées « en fonction des efforts constatés » par l’administration. Quant à la diminution de la réduction des charges sociales pour les entreprises qui ne négocient pas sur les salaires, elle est de 10 % la première année et de 100 % la troisième.

A l’inverse, les entreprises qui ne sont pas conformes sur les seniors et sur l’apprentissage paient la totalité de la pénalité ou rien. Ce qui n’est pas très incitatif, comme l’a reconnu à plusieurs reprises Xavier Bertrand à propos de l’apprentissage. C’est pour cette raison que le gouvernement souhaite que, d’ici à la fin du premier trimestre, la surtaxe d’apprentissage soit davantage modulée – elle l’est déjà un peu – en fonction des efforts des entreprises ; le quota d’apprentis passerait en outre de 3 % à 4 % ou 5%. Selon nos informations, le produit de la surtaxe serait basculé du fonds national de développement et de modernisation de l’apprentissage vers les contrats d’objectifs et de moyens apprentissage Etat-régions. L’objectif du gouvernement est que la proportion de jeunes en alternance passe de 7 % à 10 % d’ici à 2015.

Besoin de temps, de volonté et de moyens

Au final, beaucoup d’observateurs sont, à l’instar de Daniel Martins, « réservés sur l’efficacité de la politique du bâton » du gouvernement. « Les pouvoirs publics veulent une prise de conscience des entreprises, mais ils ne leur en donnent pas le temps », estime-t-il. De fait, il a fallu du temps, de la volonté et des moyens à Simply Market, Pizzorno Environnement ou Valrhona (lire p. 25 à 28) pour monter des dispositifs efficaces sur le handicap et l’apprentissage. Sans ces trois préalables, il y a peu de chances que les sanctions changent les pratiques des entreprises.

L’essentiel

1 En créant quatre sanctions financières en deux ans à l’encontre des entreprises qui ne remplissent pas leurs obligations sociétales, les pouvoirs publics ont manifestement décidé de pratiquer la politique du bâton.

2 Dans l’état actuel des normes, ces sanctions restent toutefois largement virtuelles.

3 Faute de temps, de moyens et de volonté, les entreprises cherchent à éviter les sanctions plus qu’à devenir vertueuses.

4 sanctions supplémentaires en deux ans

→ Egalité professionnelle et pénibilité : 1 % de la masse salariale

L’article 77 de la loi sur les retraites du 9 novembre 2010 prévoit que les entreprises qui ne sont pas couvertes par un accord ou un plan sur la pénibilité d’ici au 1er janvier 2012 sont soumises à une pénalité de 1 % maximum des rémunérations ou gains. L’administration en fixe le montant « en fonction des efforts constatés ». Les entreprises de 50 à 300 salariés peuvent être couvertes par un accord de branche. Le contenu de l’accord ou du plan sera fixé par décret.

Le dispositif relatif à l’égalité professionnelle (article 99 de la loi sur les retraites) fonctionne de la même manière.

→ Seniors : 1 % de la masse salariale

L’article 87 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 soumet à une pénalité de 1 % de leur masse salariale (y compris primes, 13e mois, congés payés et avantages en nature) les entreprises de plus de 50 salariés qui ne sont pas couvertes, à compter du 1er janvier 2010, par un accord ou un plan relatif à l’emploi des seniors. Les entreprises de 50 à 300 salariés ne sont pas soumises à cette pénalité si elles sont couvertes par un accord de branche.

→ Négociations salariales : augmentation des charges sociales

La loi sur les revenus du travail du 3 décembre 2008 dispose que les entreprises qui n’ont pas négocié sur les salaires subissent, à compter du 1er janvier 2009, une « diminution de la réduction des charges sociales de 10 % la première année et de 100 % la troisième ».

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK