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Les juges : de nouveaux “amis” sur Facebook ?

Les pratiques | publié le : 30.11.2010 | CÉLINE LACOURCELLE

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Les juges : de nouveaux “amis” sur Facebook ?

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

En fondant le licenciement de deux salariés sur des propos injurieux tenus sur Facebook, les prud’hommes de Boulogne-Billancourt ont créé un précédent. Ayant considéré le site comme un espace ouvert, ils permettent aux entreprises soucieuses de préserver leur image d’épingler les salariés un peu trop mauvaise langue.

La décision du conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt (92) le 19 novembre dernier est sans doute la première d’une longue série. Et il est fort probable qu’elle fasse jurisprudence, si elle est confirmée en appel. En cause, les propos tenus sur Facebook un samedi soir de 2008 par un salarié ayant des griefs contre son employeur, la société Alten. S’estimant mal considéré par sa hiérarchie, il ironisait en déclarant faire partie du « club des néfastes ». Ce à quoi deux salariés ont répondu : « Bienvenue au club ! » Son licenciement pour faute grave, comme celui d’un de ses collègues “ami” sur le réseau social avec qui il échangeait, a donc été jugé fondé. Les motifs ? « dénigrement de l’entreprise » et « incitation à la rébellion ».

Tous les avocats convenaient manquer de visibilité sur le sujet des réseaux sociaux. L’absence de textes ou d’arrêts de la Cour de cassation ne leur permettant pas de trancher sur la nature publique ou privée des espaces créés par les internautes sur ces médias, les fameux murs qui permettent aux “amis” de l’utilisateur de laisser de courts messages.

Notion de "site social ouvert"

Pour les salariés de la SSII Alten, aucun doute, leurs échanges orchestrés depuis leur ordinateur personnel étaient strictement privés, bien qu’accessibles aux amis des amis. Cet argument n’a pas tenu devant les prud’hommes, qui ont tout de même eu du mal à se prononcer, puisqu’un départage a été nécessaire. Mais finalement, c’est la notion de « site social ouvert » qu’ils ont retenu.

Difficile, en effet, de considérer Facebook comme capable de garantir la confidentialité. Ce n’est pas cette jeune Québécoise qui dira le contraire. L’année dernière, alors qu’elle était en arrêt maladie pour dépression, elle a vu le versement de ses allocations stoppé net après que son assurance avait vu sur sa page Facebook des photos d’elle faisant la fête.

Aussi inédite soit l’affaire Alten, elle met néanmoins en jeu quelques principes de droit qui, eux, n’ont rien de nouveau. Le premier d’entre eux concerne la liberté d’expression, qui certes autorise les salariés à critiquer leur entreprise et leurs conditions de travail, mais dans la limite du dénigrement, de la diffamation et de l’indiscrétion. Cette liberté est à mettre en balance avec l’obligation de loyauté qui pèse sur le salarié. « Et, en la matière, la jurisprudence est très claire : un salarié n’est pas exonéré de cette obligation même dans sa vie personnelle, et donc en dehors des heures et lieux de travail. Une attitude malveillante peut justifier une sanction disciplinaire dès lors qu’elle met en cause l’employeur ou ses représentants », commente Cyril Catté, avocat au cabinet Gibier, Souchon, Festivi, Rivierre.

Dénonciation

Restent quelques zones de flou comme celle concernant les moyens utilisés par l’employeur pour avoir accès à ces propos dérangeants. La collecte de preuves résultant d’un stratagème ou d’une surveillance clandestine est, en effet, illicite. Dans le cas présent, un “ami” ayant assisté à l’e-conversation avait réalisé une copie d’écran, transmise ensuite à la direction. Peut-être que dans d’autres circonstances le juge se concentrera sur le procédé et non sur le contenu des échanges, ce qui ne sera pas forcément favorable à l’employeur. Mais pour l’heure, une chose est sûre : seuls les mails estampillés “personnel” sont, depuis l’arrêt Nikon de 2001, considérés comme faisant partie de la correspondance privée des salariés et donc de la sphère privée.

Et même si Facebook s’invite dans ces nouveaux conflits, les prud’hommes demeurent la juridiction compétente, « car il s’agit d’un contentieux opposant un employeur à son salarié. Le conseil saisi est celui du lieu d’exécution du contrat de travail ou du domicile du salarié s’il n’est pas rattaché à un établissement déterminé », signale Cyril Catté.

Application des chartes limitée au lieu de travail

Avec ce genre d’affaires, il y a fort à parier que les dirigeants redoubleront d’attention sur les propos tenus dans les réseaux sociaux. Une étude, publiée en janvier 2010 par la société de sécurité informatique Sophos, montre, toutefois, la tolérance de certains. Près de la moitié d’entre eux autorisent l’utilisation sur le lieu de travail de Facebook ou Twitter par leurs salariés, un chiffre en progression de 13 % en un an. Alors même qu’ils sont 72 % à penser qu’une telle utilisation des réseaux sociaux présente des risques.

Mais à quoi servent les chartes informatiques ? « Si elles ont pour but de définir l’usage personnel “raisonnable” des NTIC mises à disposition de l’entreprise, d’organiser la cybersurveillance et, le cas échéant, de fixer des sanctions, elles n’ont de portée que sur ce qui se passe sur le lieu de travail, tout comme un accord d’entreprise ou un règlement intérieur », précise Me Catté, ajoutant que « le fait de contrevenir à cette charte n’aggrave pas nécessairement la faute, mais permet de sanctionner plus facilement le salarié qui avait été ainsi prévenu des conduites à éviter. »

Recrutement de “community managers”

Les directions ont commencé à faire de la veille sur la Toile. Certaines ont ainsi embauché des community managers. Ces nouveaux spécialistes, apparus il y a un peu plus de deux ans sur le marché français après avoir traversé l’Atlantique, sont chargés de gérer et de développer l’e-réputation de l’entreprise, de ses produits et évidemment de sa marque employeur.

Une autre réponse à ces incertitudes viendra peut-être des internautes eux-mêmes. Une étude de Sophos, de mai dernier cette fois, annonce en effet que 60 % des membres de Facebook (sur 1 588 interrogés) envisagent de se désinscrire pour des raisons de confidentialité. « La majorité des utilisateurs en ont assez du manque de contrôle sur l’usage que fait Facebook des informations mises en ligne sur leur page, commente Michel Lanaspèze, directeur marketing et communication de Sophos Europe du Sud. La plupart ne savent toujours pas comment régler précisément les options de confidentialité proposées par le site, trouvant l’ensemble du système confus. »

L’essentiel

1 Le conseil des prud’hommes a validé le licenciement disciplinaire de deux salariés ayant dénigré leur hiérarchie sur Facebook.

2 Dès lors que le réseau social est considéré comme un site social ouvert, les règles de droit sur les limites de la liberté d’expression et la loyauté du salarié s’appliquent.

3 Seule parade pour les entreprises : réaliser une veille sur les propos les concernant sur Internet, confiée aux community managers.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE