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Les pratiques

La définition du harcèlement moral s’est affinée

Les pratiques | Retour sur… | publié le : 19.10.2010 | CÉLINE LACOURCELLE

Les juges ne se contentent plus de sanctionner un agissement, mais aussi des modes de management. En huit ans, les condamnations sont devenues plus lourdes.

Le 17 mars 2002, le harcèlement moral s’est invité dans le Code du travail(1), dans le sillage de la loi de modernisation sociale. « D’entrée, l’appréciation est délicate pour les magistrats, qui ont joué la prudence. Peu de dossiers donnent donc lieu à des condamnations », se souvient Cyril Catté, du cabinet Gibier, Souchon, Festivi, Rivierre. Et ce, jusqu’au 21 juin 2006. Ce jour-là, la Cour de cassation entre en scène pour rattacher le harcèlement moral à l’obligation de santé et de sécurité de l’employeur vis-à-vis de ses salariés. « Qu’il ait ou non commis la faute, il est reconnu responsable », énonce Coline Bied-Charreton du cabinet Latham & Watkins.

Recherche de la preuve

Deux ans plus tard(2), un nouveau virage est opéré par la Haute juridiction qui intervient pour mieux cadrer la notion. Sa préoccupation d’alors ? Harmoniser les pratiques et préciser les règles qui conduisent la recherche de la preuve. « Jusqu’alors, elle laissait l’appréciation des éléments produits aux juges du fond », ajoute Coline Bied-Charreton. Elle répartit alors la charge de la preuve entre le salarié, qui doit établir la matérialité des faits, et l’employeur, contraint de prouver le contraire. Avec un préalable : les faits incriminés doivent être répétés, comme l’indique la définition originelle.

Quelle que soit la durée

« Lors de sa rédaction, des sociologues ont avancé qu’un harcèlement moral présentait obligatoirement un caractère répétitif, estimé pour certains à hauteur d’une fois par semaine sur trois ans ou d’au moins six mois. Si ce critère n’a pas été remis en cause, il a été revisité le 26 mai 2010, lorsque la Cour de cassation a considéré qu’un harcèlement moral pouvait être qualifié comme tel quelle que soit sa durée, aussi courte soit-elle », explique Caroline André-Hesse, du cabinet Altana. En l’occurrence, un peu moins de deux mois, durant lesquels un salarié s’est vu affecté à des tâches subalternes, menacé, objet de propos dégradants et, pour finir, dégradé.

Ce principe est toutefois assoupli dans une situation de discrimination. « Alors, le harcèlement moral est constitué, même s’il résulte d’un agissement unique et isolé », souligne Agnès Cloarec-Mérendon, du cabinet Latham & Watkins.

Le harcèlement peut être objectif

Autre évolution jurisprudentielle, celle qui a conduit la Cour de cassation à admettre, le 10 novembre 2009, puis le 28 janvier 2010, que « le harcèlement peut être indépendant de l’intention de nuire de l’auteur », rappelle Caroline André-Hesse. « Lorsque syndicats et parlementaires ont appréhendé le harcèlement, ils l’ont supposé prémédité puisque pensé pour faire démissionner un indésirable. Les juges, eux, raisonnent à l’envers. Ils ne partent pas de la volonté de nuire, mais de la situation du salarié. Si sa santé est dégradée et si les tâches attribuées s’avèrent inhabituelles, alors la qualification de harcèlement moral peut être retenue », explique Cyril Catté.

Ce qui n’a pas été sans conséquences sur la notion dans son ensemble, comme le souligne Agnès Cloarec-Mérendon : « Dès que l’on admettait que le harcèlement était objectif et non plus intentionnel, il pouvait être consécutif d’un management, d’une organisation du travail ou d’une direction. Il n’était plus exclusivement le fait d’une personne mais d’un collectif. »

Méthodes de gestion d’un supérieur

Orientation confirmée dans un arrêt du 10 novembre 2009. La Cour de cassation indique alors que « peuvent constituer un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique ». Cyril Catté précise, par ailleurs, que le harcèlement moral est admis de la part d’un supérieur mais aussi d’un collègue et même d’un subordonné.

Ces arrêts ont participé au fil des ans à affiner la définition. Selon les avocats, peu de zones de flou subsistent. Ce qui a largement changé la donne aux prud’hommes, où les conseillers, lassés des cas de supposé harcèlement évoqués pour contester un licenciement, ne se laissent plus abuser. Pour autant, les contentieux n’ont pas disparu, bien au contraire. Et les condamnations sont plus lourdes avec l’annulation du licenciement donnant lieu à la réintégration du salarié et au paiement rétroactif des salaires. Sans compter les conséquences de la circulaire du 13 février 2006, faisant suite à loi dite Perben II qui demande que soit engagée la responsabilité pénale des personnes morales en cas de harcèlement. A la clé : fermeture de l’établissement, exclusion des marchés publics…

Prévention et formation

La parade pour alléger les peines ? Agnès Cloarec-Mérendon associe « une politique de prévention, des formations et sensibilisations répétées, l’inscription du risque dans le document unique et le règlement intérieur, l’implication des IRP et du médecin du travail, ainsi que la mise en place en interne de procédures d’alerte ». Il est donc fortement conseillé aux entreprises de n’omettre aucune de ces actions si elles espèrent la clémence des juges.

(1) Code du travail art. L 1152-1.

(2) Arrêts datés du 24 septembre 2008.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE