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Les chemins du retour à l’emploi

Enquête | publié le : 07.09.2010 | ÉLODIE SARFATI

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Les chemins du retour à l’emploi

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Avec l’explosion du chômage de longue durée, de plus en plus d’actifs sont menacés d’être durablement éloignés de l’emploi. Peu habituées à travailler avec les structures d’insertion, les entreprises classiques peuvent néanmoins se mobiliser pour remettre à flot les salariés victimes d’exclusion sociale.

Un niveau de chômage de longue durée en hausse constante – 1,5 million de personnes en juin, soit 36 % des demandeurs d’emploi –, un nombre de chômeurs en fin de droits qui devrait atteindre un million de personnes en 2010, un taux de chômage des jeunes historiquement élevé… Même si les destructions d’emploi semblent marquer le pas depuis le début de l’année, les traces laissées par la crise seront durables. « En supposant que la reprise s’amorce dans les prochains mois, il faudra beaucoup plus de temps pour que le niveau d’emploi reparte à la hausse. Dans les deux ans à venir, les chômeurs de longue durée risquent donc d’être deux à trois fois plus nombreux qu’avant la crise, car l’effet « file d’attente » ou « fond de cuve » va encore s’amplifier », prédit Claudie Buisson, présidente du comité national des entreprises d’insertion (CNEI).

Parcours renforcés

Plus le chômage dure et plus le retour à l’emploi est difficile : derrière ce qui ressemble à une lapalissade, c’est un phénomène bien réel dont parle Claudie Buisson, qui fait que les derniers arrivés au chômage seront les premiers à en ressortir. Avec, pour les autres, des obstacles qui s’accumulent : « Détérioration des qualifications, pertes des repères, et discrimination due à leur statut de chômeur », égrène Patrick Boulte, vice-président de l’association Solidarités nouvelles face au chômage.

Comment éviter ce basculement dans l’exclusion ? A Pôle emploi, les parcours renforcés proposés aux demandeurs d’emploi ayant des difficultés particulières d’insertion ont d’ores et déjà progressé de 35 % à 40 %, indique Serge Lemaître, directeur des services aux clients de l’opérateur public. Parallèlement, les contrats aidés, dont le nombre avait été revu à la baisse en 2008, ont été réactivés depuis 2009 (lire encadré p. 25).

Cependant, la mobilisation des pouvoirs publics ne peut avoir les effets escomptés sans que changent, dans les entreprises, certaines habitudes bien ancrées. « Les contrats aidés sont destinés en principe aux personnes ayant des difficultés d’insertion particulières. Mais il existe toujours un risque d’écrémage, c’est-à-dire qu’ils bénéficient, parmi ces publics, à ceux qui sont le moins éloignés de l’emploi, constate Pierre Boisard, sociologue au CNRS. Les entreprises qui embauchent n’ont aucune raison de favoriser les personnes en difficulté. Elles cherchent le personnel qu’elles estiment le plus investi dans le travail et laissent les personnes jugées moins aptes de côté. Ce n’est certes pas nouveau : depuis deux ou trois décennies, la pression concurrentielle a poussé les entreprises à être plus sélectives. Et la crise a accentué le phénomène. »

Claudie Buisson abonde : « Habituellement, le taux de sortie vers l’emploi durable des personnes accueillies en entreprise d’insertion – CDI, CDD de plus de six mois ou formation qualifiante – tourne autour de 50 %. Nous n’avons pas encore les chiffres pour 2009, mais la crise aura sans doute dégradé ces résultats, car nos salariés se retrouvent de plus en plus en compétition avec des bac + 2 au chômage. Et les entreprises ont toujours le réflexe de recruter des personnes surqualifiées. »

Des entreprises peu impliquées

De manière générale, souligne Alice Brassens, responsable de projets à l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa), « hormis quelques expériences innovantes, les entreprises ne sont pas des partenaires habituels de l’insertion ». Fin 2007, une enquête du Credoc montrait que si la quasi-totalité des salariés et des dirigeants estiment que les entreprises doivent agir pour faciliter l’insertion professionnelle des personnes éloignées de l’emploi, 80 % trouvent que leur niveau d’implication est insuffisant, et à peine un tiers des entreprises ordinaires mènent des actions dédiées.

A cette période, le Grenelle de l’insertion avait mis autour de la table pouvoirs publics, partenaires sociaux, associations, etc. et avait permis de tracer quelques pistes pour pousser les entreprises à participer davantage à l’effort d’insertion. Seulement, les convergences de vues n’ont pas débouché sur de réels changements : un bilan du Grenelle, réalisé par le comité de suivi en mars 2010, souligne que « la réflexion autour d’une définition d’incitations efficaces pour conduire les entreprises à renforcer leur démarche d’insertion et à recruter des salariés durablement éloignés du marché du travail n’a pas été menée jusqu’ici ».

Partenariats rarissimes

Constat partagé par Jean-François Connan, directeur de l’insertion et de l’innovation sociale d’Adecco et pilote d’Adecco Insertion, une entreprise de travail temporaire d’insertion, forte de 40 agences, montée par Adecco et le groupe Id’ées intérim (ETTI). « Les représentations restent fortes, on continue d’assimiler insertion et comportement inadapté. Or, quand on pratique l’insertion, on se rend compte que tout le monde peut avoir un accident de parcours. Il faut simplement accepter les différences. » S’il reconnaît que des prises de conscience existent, elles se font, estime-t-il, bien trop lentement : « Les partenariats des entreprises classiques avec le secteur de l’insertion par l’activité économique, comme celui que nous menons avec Id’ées intérim, sont rarissimes. On se contente encore trop souvent de faire du mécénat. »

Dans un colloque organisé par l’Association française des managers de la diversité (AFMD) en mai dernier, Jean-Baptiste de Foucauld, fondateur de Solidarités nouvelles face au chômage, allait bien plus loin et défendait l’idée d’instaurer une obligation d’embauche des chômeurs de longue durée, plaidant pour que toutes les entreprises aient dans leurs effectifs 3 % ou 4 % de salariés rencontrant des difficultés d’insertion. « L’intérêt du patronat pour les questions d’insertion n’est pas à la hauteur du problème, expliquait-il alors. Aujourd’hui, la machine à exclure fonctionne plus vite que la machine à inclure. »

Des incitations existent néanmoins pour que les entreprises fassent une place aux personnes ayant des difficultés particulières d’insertion. Depuis 2001, des clauses sociales peuvent être intégrées dans les marchés publics. Elles obligent alors les entreprises qui remportent les marchés à réserver un certain nombre d’heures à des actions d’insertion.

Pour Alice Brassens, il y a plusieurs manières pour une entreprise de se préoccuper de l’insertion des personnes en difficulté : « Certaines entreprises, notamment les plus grandes, peuvent mobiliser leurs collaborateurs sous forme de mécénat de compétences, comme pour l’opération 100 000 rencontres solidaires (lire p. 25). D’autres, souvent des PME, s’impliquent localement et redonnent ainsi à l’entreprise un rôle citoyen en réservant une partie de leur recrutement aux personnes éloignées de l’emploi. » Dans les secteurs en tension, les difficultés de recrutement ont en effet poussé les entreprises à prendre en compte ce public : Phone Régie a par exemple conclu une convention avec le conseil général des Hauts-de-Seine pour favoriser le recrutement des bénéficiaires de minima sociaux (lire p. 28).

Un manque de coordination

Malgré tout, au regard des enjeux, ces initiatives restent limitées. Ainsi, « les Geiq restent un dispositif trop méconnu, regrette Marie-Françoise Rennuit, secrétaire générale du CNCE-Geiq. Par ailleurs, la clause sociale est appliquée de manière très disparate ». Il est vrai, tempère Alice Brassens, qu’il n’est pas forcément évident pour une entreprise de se mobiliser en faveur de l’insertion, étant donnés la variété et, parfois, le manque de coordination des partenaires possibles. Service public de l’emploi dans toutes ses composantes (Plie, missions locales, etc.), conseils généraux, structures de l’insertion par l’activité économique (entreprises, ateliers ou chantiers d’insertion…) se retrouvent à “démarcher” les entreprises placées devant « une concurrence d’offres » peu lisibles. Du coup, « il y a souvent une incompréhension mutuelle entre les employeurs, qui peuvent avoir peur des publics en insertion, et les institutions ou associations connaissant bien ces personnes, qui se méfient des conditions d’emploi dans les entreprises qui peinent à recruter ».

Pourtant, l’enjeu ne se pose pas seulement pour les personnes en difficulté : « Lorsque la reprise interviendra, les entreprises vont se retrouver confrontées à une pénurie sur certains métiers. Pour être en capacité de recruter à ce moment-là, il faudra être préparé à chercher les talents partout où ils se trouvent, notamment dans les structures d’insertion », prévient Antonella Desneux, qui a piloté le groupe de travail insertion pour l’Association française des managers de la diversité.

Avancée européenne

L’impulsion viendra-t-elle des partenaires sociaux européens ? En mars 2010, ils ont signé un accord-cadre sur les “marchés du travail inclusifs”, visant à favoriser l’insertion des personnes éloignées de l’emploi, notamment en développant le dialogue social sur ce thème ou en mettant en place des méthodes de recrutement et d’accueil adaptées dans les entreprises.

l’essentiel

1 L’explosion du chômage de longue duréeaugmente encore les risques d’exclusion pour les personnes rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle.

2 Même si certaines initiatives existent pour favoriser l’embauche de ces personnes, la mobilisation des entreprises reste limitée.

3 La prise en charge des personnes éloignées de l’emploi par des structures d’insertion aide à sécuriser le recrutement de ces salariés.

Quels dispositifs pour favoriser l’insertion ?

Pour donner leur chance à des personnes éloignées de l’emploi, les entreprises qui recrutent ont plusieurs possibilités :

→ Adhérer à l’un des 122 Geiq (groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification) sectoriels existants sur le territoire. Ils regroupent aujourd’hui 4 000 entreprises de secteurs en tension (à 95 % de moins de 300 salariés). « Chaque année, 4 000 personnes sans qualification ou en reconversion, dont deux tiers de jeunes de moins de 26 ans, sont orientées par le service public de l’emploi vers un Geiq, explique Marie-Françoise Rennuit, secrétaire générale du CNCE-Geiq. Elles sont embauchées en contrat de professionnalisation et accompagnées par un tuteur socioprofessionnel qui travaille sur le savoir-être en entreprise. En 2009, 66 % des personnes sont sorties avec un emploi durable (CDI ou CDD de plus de six mois), et 70 % avant la crise. »

→ S’adresser à une structure d’insertion : entreprises d’insertion (dont les entreprises de travail temporaire) – il en existe un millier en France – mais aussi établissements publics de la deuxième chance, conseils généraux (en charge de l’accompagnement des bénéficiaires des minima sociaux), Plie…

→ Revoir ses méthodes de recrutement : la méthode de recrutement par simulation, notamment, permet de donner leur chance à des personnes n’ayant pas la qualification requise. Serge Lemaître, directeur des services aux clients de Pôle emploi, plaide pour que les entreprises aient davantage le réflexe de transmettre leurs offres d’emploi à Pôle emploi : « Si une entreprise nous confie son offre, nous pouvons la mettre à disposition des personnes les plus en difficulté. Sinon, elle ne sera vue que par les candidats qui ont la capacité d’aller sur Internet, ou d’utiliser leur réseau professionnel. »

Des contrats pour (re)mettre le pied à l’étrier

→ Contrats aidés : 400 000 contrats uniques d’insertion dans le secteur non marchand (CUI-CAE) sont budgétés pour 2010 ; dans le secteur marchand, 120 000 CUI-CIE sont prévus pour cette année, dont 50 000 décidés dans le cadre du plan Rebond vers l’emploi annoncé le 15 avril dernier. « Ils seront réorientés vers les seniors et les chômeurs de longue durée d’ici à la fin de l’année », précise Serge Lemaître, directeur des services aux clients de Pôle emploi. Le tour de vis budgétaire du gouvernement devrait revoir à la baisse le nombre des contrats aidés des secteurs non marchands (de 340 000 en 2011 jusqu’à 200 000 en 2013).

→ Contrats en alternance : en juin 2010, on recense 175 000 contrats de professionnalisation, ainsi que 394 000 contrats d’apprentissage. Les aides de l’Etat pour l’embauche d’un jeune en contrat de professionnalisation et, pour les entreprises de moins de 50 salariés, d’apprentissage, ont été prolongées au-delà du mois de juin.

→ Contrats d’insertion : en mai 2010, 12 000 personnes étaient en CDD d’insertion ; entre janvier et mai, près de 8 000 personnes ont été mises à disposition par une entreprise de travail temporaire d’insertion.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI