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« Concernant les seniors, les entreprises doivent revoir leurs pratiques de GRH »

L’actualité | publié le : 06.07.2010 | GINA DE ROSA, GUILLAUME LE NAGARD

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« Concernant les seniors, les entreprises doivent revoir leurs pratiques de GRH »

Crédit photo GINA DE ROSA, GUILLAUME LE NAGARD

Pris dans un maelström politique lié à sa fonction d’argentier du parti présidentiel et aux conséquences de l’affaire Bettencourt, Eric Woerth, actuel ministre du Travail, conservait la confiance de Nicolas Sarkozy en fin de semaine dernière, notamment pour organiser la réforme des retraites. Ce texte, l’un des plus importants de la mandature, doit être présenté en conseil des ministres le 13 juillet, puis aux députés à la rentrée parlementaire. Le recul de l’âge de départ aura des conséquences multiples sur le travail, qui devront être anticipées par les entreprises. Nous avons interrogé Eric Woerth sur l’emploi des seniors, la gestion de la fin de carrière, le traitement de la pénibilité, et par ailleurs sur la simplification du droit et le partage des profits dans les entreprises.

E & C : Vous venez de présenter le texte de la réforme des retraites. Les syndicats se sont unanimement prononcés contre. Sans soutien syndical, ne craignez-vous pas un mouvement social de grande ampleur à la rentrée ?

E. W. : La réforme des retraites est une réforme indispensable : tous les syndicats en conviennent, même ceux qui appellent aujourd’hui à défiler contre. Maintenant, je pense qu’il est normal qu’une réforme de cette ampleur suscite des inquiétudes, et que tout le monde ne soit pas d’accord sur les solutions proposées. Pour moi, toute mobilisation est importante et j’y serai attentif. Mais je n’ai aucune crainte, parce que la réforme que nous proposons est indispensable et je pense que les Français le savent. Nous avons mené une concertation approfondie avec les syndicats, et nous allons continuer à le faire sur trois sujets importants identifiés par le Président de la République : la pénibilité, les carrières longues et la situation de ceux qui ont cotisé à plusieurs régimes de retraite. Mais au final, nous prendrons nos responsabilités et nous ferons voter les mesures nécessaires pour sauver nos retraites.

E & C : Pour en revenir à la réforme elle-même, pensez-vous, comme le Medef, que le maintien des seniors dans l’emploi « se fera automatiquement » avec le recul de l’âge légal ? La volonté gouvernementale de faire partir les salariés plus tard à la retraite règle-t-il ce problème du faible taux d’emploi des seniors ?

E. W. : Dès lors que vous repoussez l’âge légal de départ à la retraite, vous ouvrez aux salariés et aux entreprises qui les emploient de nouvelles perspectives en termes de gestion active des ressources humaines. Aujourd’hui, la France est au-dessus de la moyenne européenne pour le taux d’emploi des 50 à 55 ans. C’est à partir de 59 ans que ce taux chute drastiquement, au point de devenir le plus faible d’Europe. Pourquoi ? Parce que l’âge de la retraite à 60 ans est également l’un des plus bas d’Europe, et que cet horizon induit des comportements de cessation d’activité, de la part des entreprises comme de la part des salariés. En faisant évoluer ce curseur, nous ferons évoluer ces comportements. Mais les entreprises doivent également jouer le jeu et revoir leurs pratiques de gestion des ressources humaines. Promouvoir l’emploi des seniors, ce n’est pas simplement renoncer aux préretraites. C’est être capable de parler d’avenir professionnel à quelqu’un de plus de 55 ans, avec de l’ambition de part et d’autre. Nous devons aussi aider les seniors à retrouver des emplois. C’est pourquoi le texte prévoit une aide à l’embauche d’un an pour les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans.

E & C : La direction générale du travail a fait un bilan des accords seniors qu’elle a remis au Conseil d’orientation des retraites. Comment jugez-vous la qualité de ces accords ?

E. W. :A ce jour, ce sont plus de 33 000 accords ou plans d’action d’entreprises qui ont été déposés auprès de mes services, ce qui constitue une mobilisation sans précédent. J’ai eu l’occasion, au cours de plusieurs déplacements dans des entreprises de secteurs d’activité très variés, de rencontrer les acteurs de ces accords et de ces plans (chefs d’entreprises, DRH, syndicalistes, salariés…). Personnellement, je crois qu’il faut partir d’un diagnostic partagé pour identifier, en fonction des caractéristiques de chaque entreprise, les domaines d’action à privilégier, en jouant sur la gamme la plus large possible et en se fixant des indicateurs de suivi chiffrés. Il y a des mesures à effet immédiat, comme le recrutement de salariés âgés, qui ne doivent pas être négligées, et des mesures qui doivent s’enraciner profondément dans la politique de gestion des ressources humaines des entreprises.

E & C : Le recul du départ en retraite pose le problème des emplois pénibles. Les syndicats de salariés souhaitaient une reconnaissance par secteur ou par activité, plutôt qu’individuelle. Comment comptez-vous mettre en œuvre le constat de la pénibilité au cas par cas ?

E. W. :Il faut tout d’abord souligner que la réforme instaure un droit nouveau pour les salariés dont l’état de santé est dégradé à la suite d’exposition à des facteurs de pénibilité. Tous les salariés qui ont une incapacité égale ou supérieure à 20 %, ayant donné lieu à l’attribution d’une rente pour maladie professionnelle ou pour accident provoquant des troubles de même nature, pourront continuer de partir à 60 ans avec une retraite à taux plein. On estime aujourd’hui que ce dispositif pourrait bénéficier à près de 10 000 personnes par an. C’est une mesure qui peut encore évoluer, et sur laquelle nous allons continuer de travailler dans les deux mois qui viennent. Enfin, il faut rappeler que tout doit être fait pour réduire la pénibilité le plus en amont possible dans les années qui viennent… c’est aussi un des objectifs du deuxième Plan santé au travail pour 2010-2014 (PST 2).

E & C : Concrètement, com­ment, dans un système de reconnaissance de la pénibilité individualisé, peut-on prendre en compte dix ou quinze ans de travail pénible dans toute une carrière ?

E. W. :C’est un point très complexe qui soulève plusieurs questions : celle de la traçabilité auquel le projet s’attache, avec la mise en œuvre dans les prochaines années d’un carnet de santé individuel au travail, mais aussi celle du lien entre les facteurs d’exposition à certaines catégories de risques et leur impact sur l’espérance de vie en bonne santé. Cela fait partie des enjeux opérationnels sur lesquels nous continuons de travailler.

E & C : La question de la pénibilité psychologique et des suicides au travail a marqué la fin 2009 et le début 2010. Votre prédécesseur avait instauré un système de dénonciation sur liste que vous avez remis en cause. Quel est votre plan d’action pour lutter contre les risques psychosociaux ?

E. W. : Depuis mai 2009, toutes les entreprises sont soumises à l’accord national interprofessionnel sur le stress au travail. Or ce dernier restait jusqu’à présent très peu décliné par les branches et les entreprises, sous forme d’accord ou de plans d’action. A l’initiative de Xavier Darcos, un processus de mobilisation des entreprises et des partenaires sociaux a été enclenché dans les 1 500 entreprises de plus de 1 000 salariés. Il leur avait été demandé d’engager des négociations, un diagnostic et/ou un plan d’action sur le stress au plus tard d’ici février 2010. Par les réactions qu’il a suscitées, ce plan a d’abord permis de mettre le sujet du “mal-être au travail” au centre du débat public. Il a permis aussi de mettre en valeur les bonnes pratiques. C’est pourquoi le site Internet <travailler-mieux.­gouv.fr> de mon ministère recense toujours les entreprises qui ont mis en place un plan d’action ou négocié un accord sur le stress. Nous devons poursuivre cette dynamique. Je souhaite notamment que les entreprises de plus de 1 000 salariés mentionnent explicitement, dans leur bilan social, les actions qu’elles mettent en place pour prévenir le stress au travail. Ce sera un progrès majeur en matière de transparence. Nous allons par ailleurs intégrer ces avancées du plan d’urgence dans le PST 2. Ce dernier conduira d’ailleurs à mieux surveiller les risques psychosociaux (RPS) grâce à des indicateurs statistiques nationaux, et à développer les outils d’aide à la prévention des RPS auprès des branches et des entreprises.

E & C : Vous avez suspendu la mission confiée à Franck Mougin, DRH de Vinci, sur la sécurisation juridique. A l’heure où la question de l’égalité de traitement entre catégories professionnelles est revue par les juges, n’est-il pas nécessaire de mieux protéger les accords collectifs ?

E. W. : Je ne crois pas que les juges menacent les accords collectifs, ni qu’il faille répondre à chaque décision de justice un peu “inattendue” par une nouvelle loi, censée être plus protectrice que la précédente. A force d’empiler les lois les unes sur les autres, on perd la compréhension de ce qui est essentiel dans notre législation sociale. Nous devons au contraire améliorer la lisibilité de notre droit, ce que la recodification du code du travail a d’ailleurs fait progresser. Il faut également développer une meilleure connaissance mutuelle des pratiques et des contraintes inhérentes à l’action de chacun des acteurs.

E & C : La question du pouvoir d’achat est toujours sensible et les négociations salariales très conflictuelles dans beaucoup d’entreprises. Comment le gouvernement compte-t-il convaincre les partenaires sociaux, notamment le Me­def, de conclure sur la question du partage des profits, chère à Nicolas Sarkozy ?

E. W. : Vous savez, le Medef comme les autres partenaires sociaux sont conscients qu’il faut apporter une réponse renouvelée à la question du partage des profits. Il s’agit bien sûr de parler des salaires. Les 35 heures ont stoppé net les politiques d’augmentation salariale, nous avons fait le choix de les réimpulser de manière vigoureuse. Les employeurs dans les branches et les entreprises le savent bien : refuser de négocier, c’est, depuis la loi du 3 décembre 2008, se condamner à perdre le bénéfice des exonérations de charge. Je constate que ça fonctionne, car la plupart des accords de branche ont été revus à la hausse en 2009, et le salaire moyen a augmenté de presque 2 % depuis un an, malgré la crise.

Auteur

  • GINA DE ROSA, GUILLAUME LE NAGARD