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Trop de dialogue social tue parfois le social

Enquête | publié le : 06.07.2010 | EMMANUEL FRANCK

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Trop de dialogue social tue parfois le social

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Les obligations en matière de négociation d’entreprise et d’information-consultation se sont multipliées, particulièrement ces deux dernières années. Résultats : les syndicats et les directions sont débordées et la qualité de la négociation n’est pas toujours au rendez-vous. Les partenaires sociaux discutent d’une modernisation du dialogue social.

« J’ai parfois l’impression de passer mon temps à négocier pour négocier. C’est une obligation légale, mais est-ce vraiment mon rôle ? » Nathalie Gateau, DRH de l’entreprise spécialisée dans les systèmes de sécurité Gunnebo France, n’est pas la première ni la seule ni à s’interroger sur les multiples obligations et sur le formalisme du dialogue social en entreprise.

Dans sa note d’orientation de décembre 2008, l’association Entreprise & Personnel relève le « paradoxe, dans beaucoup d’entreprises, [entre le] temps passé en négociation sociale [et le] peu d’effets que ces négociations ont sur la vie quotidienne des salariés ». Un récent rapport du Centre d’analyse stratégique (CAS) conclut que les institutions représentatives du personnel (IRP), trop nombreuses et inefficaces, n’ont pas atteint l’objectif que leur a assigné le législateur (lire p. 27).

Il manque encore un bilan de la négociation obligatoire, mais diverses études laissent à penser que sa vitalité est un trompe-l’œil (lire p. 25). Sylvain Niel, directeur associé au cabinet Fidal et président du Cercle des DRH, un lobby d’obédience libérale, souligne pour sa part combien le dialogue social en entreprise est source de contentieux et de blocages (lire p. 29).

Modernisation du dialogue social

Les signes d’incompréhension ne viennent pas que des directions. Les syndicats également s’interrogent sur le rythme de négociation qui leur est imposé et sur les moyens mis à leur disposition. Et jusqu’à l’administration du ministère du Travail, qui aimerait se consacrer un peu moins aux contentieux formels et un peu plus aux sujets essentiels. C’est donc peu dire que le résultat des discussions des partenaires sociaux sur la modernisation du dialogue social est attendu avec impatience.

Jusqu’à l’année dernière, les directions et les syndicats étaient tenus de négocier sur les salaires ; le temps de travail ; la GPEC ; le handicap ; l’épargne salariale ; la prévoyance ; et l’égalité professionnelle et salariale. Depuis 2009, les thèmes des seniors et des risques psychosociaux se sont ajoutés à la liste. A ces obligations de négocier s’ajoutent celles d’informer et de consulter les IRP dans à peu près tous les domaines de la vie de l’entreprise. Depuis les lois Auroux du début des années 1980, les obligations se sont accumulées. Mais, pour Sylvain Niel, un tournant a été pris avec les lois Aubry sur la réduction du temps de travail, lorsque, « pour la première fois, les syndicats ont été amenés à entrer dans les processus de gestion des entreprises ».

Des objectifs moins clairs

Initialement, il s’agissait de donner davantage d’autonomie à la négociation, de la rapprocher du terrain, et de renforcer la participation des salariés à la vie de l’entreprise. Mais à ces objectifs relativement consensuels sont venus s’en ajouter d’autres, plus flous. Depuis le début de la mandature de Nicolas Sarkozy, le recours à la négociation en entreprise est en effet devenu particulièrement insistant.

Celle-ci a d’abord été envisagée comme un levier en faveur du pouvoir d’achat des salariés et comme un moyen de détricoter les 35 heures : loi Tepa de 2007 ; loi de 2008 sur le pouvoir d’achat ; volet temps de travail de la loi du 20 août 2008 ; loi d’août 2008 sur la modernisation de l’économie ; loi de décembre 2008 en faveur des revenus du travail. Puis la crise venue, elle a été considérée comme un levier pour améliorer les conditions de travail : loi sur les seniors ; plan de prévention du stress. La plupart du temps, les délais pour négocier et bénéficier d’avantages ou pour ne pas être pénalisé sont courts.

Autant la première séquence a suscité des oppositions sur le fond, autant c’est la méthode qui a ensuite choqué. « Il n’est pas normal que le cas de France Télécom ait amené le gouvernement à faire négocier les partenaires sociaux en trois mois sur le stress. Toutes les entreprises – c’est heureux – ne sont pas dans la situation de France Télécom », s’exclame Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues, qui œuvre pour un « dialogue social de qualité ».

« L’impression est que les politiques sont hyper réactifs et ne laissent pas le temps à la négociation. On peut également se demander s’il n’y a pas une tentation de se défausser sur l’entreprise et sur les partenaires sociaux de dossiers – seniors, handicap, illétrisme – qui relèvent d’une politique générale », poursuit-il.

Timing politique ?

Mêmes réserves du côté de certaines confédérations syndicales et patronales. « Quand on négocie sur les salaires, c’est facile, mais l’organisation du travail, le harcèlement, la diversité, c’est plus compliqué. Il faut faire un travail d’expertise qui n’est pas compatible avec un rythme de négociation rapide », explique Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT, en charge de la politique de développement et des pratiques syndicales. Les lois Aubry n’ont-elles pas également placé les négociateurs dans cette situation ? Oui, mais « tout le monde était sur cet unique sujet en même temps ; c’était plus simple d’aider les négociateurs ». Au Medef, on relève que, « les DRH ont le sentiment que le gouvernement veut imposer un timing politique, alors que ce sont eux qui négocient ».

Des DRH confirment. « Nous avons signé un accord seniors parce qu’il fallait le signer, mais en fait, nous ne sommes pas concernés : la moyenne d’âge est de 33 ans chez nous, illustre Bertrand Delmas, DRH d’Orangina Schweppes Group. Le risque, c’est qu’on discute, qu’on signe, puis qu’on passe à autre chose sans appliquer le précédent accord. »

Jean-Christophe Sciberras, DRH France de Rodhia, admet qu’il a pris du retard du fait d’un « embouteillage » de négociations au début de l’année. Il s’en sort cependant grâce à un dialogue social bien structuré (lire ci-contre). De son côté, Nathalie Gateau n’est pas parvenue à signer un accord seniors et a dû se contenter d’un plan (lire ci-contre) : « Cela crée des frustrations chez les salariés. » Mais d’un autre côté, alors même que son entreprise n’est pas soumise à l’obligation de négocier sur le stress, la direction et les syndicats se sont emparés du sujet à bras-le-corps, à la demande des salariés.

Des DRH admettent cependant que l’obligation de dialoguer a parfois du bon. « Nos organisations sont devenues tellement lourdes du fait du reporting, qu’on a beau faire au mieux, on ne se rend pas toujours compte du stress que cela crée. C’est là que l’info-consult prend du sens », admet Nathalie Gateau.

DRH de l’entreprise spécialisée dans l’emballage plastique souple Veriplast Flexible, Christine Goudard comprend que le législateur intervienne sur les seniors et sur l’égalité hommes-femmes « parce que les choses ne bougent pas assez » (lire p. 24). Mais « la loi Tepa, dont la circulaire n’arrivait pas, nous a vraiment compliqué la tâche ».

Effets collatéraux du dialogue social obligatoire

Même si les syndicats apprécient qu’on leur demande davantage leur avis, ils subissent aussi les effets collatéraux du dialogue social obligatoire. « Certains militants cherchent à cumuler les mandats afin d’avoir des heures de délégation pour étudier les dossiers, alors que nous leur conseillons de travailler en collectif », explique Hervé Garnier. Pour monter en compétence, ils deviennent donc permanents, mais ils se coupent de leur métier et de leur carrière et, finalement, s’enferment dans le syndicalisme.

Une course perpétuelle

Obligations plus nombreuses, délais raccourcis, sujets plus complexes. Résultats : une course perpétuelle contre la montre ; une direction et des syndicats qui s’épuisent, d’autant plus que ceux-ci n’ont pas assez d’adhérents ; et qui, lorsqu’ils ne renoncent pas à un dossier, n’ont pas le temps de le travailler ; des accords médiocres ; un dialogue social déconsidéré ; et des salariés mécontents qui se détournent finalement des IRP.

En attendant que les syndicats et les représentants des patronats s’entendent sur une réforme du dialogue social – après plusieurs mois de discussions, ils n’en sont qu’à l’état des lieux –, Jean-Dominique Simonpoli et Sylvain Niel avancent leurs propositions pour rompre le cercle vicieux.

Ces deux observateurs, pourtant éloignés sur le plan des idées (le premier est un ancien de la CGT, le second, avocat pour les directions d’entreprise) tombent d’accord, avec des nuances, sur deux principes : réduire le nombre des IRP et donner plus de libertés à la négociation d’entreprise.

Sylvain Niel est favorable à une instance unique de dialogue social, pour les entreprises qui le souhaitent. Jean-Dominique Simonpoli estime qu’on pourrait maintenir une instance de défense des salariés (type DP), et une instance cumulant les pouvoirs de négociation du délégué syndical et les pouvoirs économiques du comité d’entreprise.

Par ailleurs, Sylvain Niel pense qu’il faut tirer les conséquences de la loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale en donnant davantage de poids et de liberté à l’accord. « Dès l’instant qu’un accord majoritaire serait signé, il devrait s’imposer aux IRP et au juge, dans le respect de l’ordre public social », complète Jean-Dominique Simonpoli, qui propose, en outre, de « professionnaliser les négociateurs ».

Les discussions sur la modernisation du dialogue social pourraient déboucher sur une véritable négociation en septembre. Le gouvernement n’a, cette fois, fixé aucune échéance.

L’essentiel

1 De nombreux DRH se plaignent que le dialogue social en entreprise soit devenu formel et chronophage.

2 Au fil du temps, et particulièrement ces dernières années, les obligations en matière de négociations et d’info-consultations se sont multipliées, sans forcément produire d’améliorations tangibles pour les salariés.

3 Une réforme des institutions représentatives (IRP) du personnel est actuellement en discussion.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK