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La réaction du nucléaire face aux pénuries de candidats qualifiés

Les pratiques | publié le : 22.06.2010 | CÉLINE LACOURCELLE

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La réaction du nucléaire face aux pénuries de candidats qualifiés

Crédit photo CÉLINE LACOURCELLE

Délaissée dans les années 1980, l’industrie nucléaire revient en force. Pour éviter la surchauffe sur un marché des compétences très pointu, le secteur, à l’orée du papy-boom, a dû élaborer d’urgence des stratégies de formation et de transfert de savoir-faire.

Elle a eu chaud ! Mais finalement, l’industrie nucléaire s’en sort bien : la catastrophe annoncée n’aura sans doute pas lieu. Dans le milieu des années 2000, éprouvé par la grande rareté des profils qualifiés et opérationnels, et alors que ses experts atteignaient l’âge de la retraite, le nucléaire était à deux doigts de manquer de bras. Le secteur est alors remonté d’urgence à la source du problème : l’enseignement supérieur.

Comptant 16 000 salariés (dont 60 % d’ingénieurs-chercheurs) dans une activité pour moitié consacrée au nucléaire, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), déjà à l’origine en 1956 de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires, a envoyé ses experts former les nouvelles générations. « Chaque année en France,nos salariés assurent plusieurs milliers d’heures de formation dans les écoles et universités », confirme Jean-François Sornein, directeur du pôle RH et formation.

Partenariats écoles-entreprises

Même approche de la part de l’Andra, Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (450 salariés), notamment avec l’école Chimie ParisTech. Les entreprises du secteur ont elles aussi participé au contenu des cursus. Ainsi, EDF, Areva, le CEA et l’Andra sont partenaires du master spécialisé gestion des déchets nucléaires de l’Ecole des Mines de Nantes. Autre exemple : le master énergie nucléaire de Centrale Paris, Supélec et Paris 11, créé en 2009.

A lui seul, le groupe Areva affiche 40 partenariats dans l’enseignement supérieur. Il y a deux ans, le groupe a par exemple réuni l’ensemble des établissements partenaires devant lesquels ses managers de la sûreté ont présenté les projets en cours. « Ceci pour fournir des idées de contenus pédagogiques », avance Jérôme Eymery, responsable du recrutement et des relations écoles au sein de la DRH.

EDF, avec ses 25 000 collaborateurs dans le nucléaire en France, a aussi renforcé sa présence dans les écoles et les universités, surtout depuis 2008, via notamment « notre réseau “campus Energie”, composé de 250 salariés ambassadeurs, chargés d’être leurs interlocuteurs et de faire connaître nos besoins », explique Florence Schreiber, DRH de la division direction-production et ingénierie.

Jérôme Eymeri en convient, « les écoles et les universités ont bougé et très vite ». Un avis partagé par Jacques Poirier, professeur à Centrale Paris et à Supelec : « Le système éducatif supérieur a été à la hauteur du développement du nucléaire, le réseau des IUT va suivre. »

La formation en interne

Et la formation en interne arrive en renfort. GDF Suez (4 000 salariés sur le périmètre nucléaire) propose depuis 2006 un programme de cours sur un an, réservé aux jeunes ingénieurs généralistes de moins de trois ans d’expérience. « Il leur fournit un passeport d’entrée pour le secteur », explique Louis Delcroix, directeur coordination RH à la direction des activités nucléaires ; 90 % arrivent tout droit de l’enseignement supérieur, les autres de l’une des filiales du groupe. Une centaine par an sont concernés.

Autre illustration : le budget formation d’EDF pour le périmètre nucléaire égale 8,3 % de la masse salariale. « Cela peut aller jusqu’à 100 heures par an pour certains salariés et, selon les métiers, elles s’ajoutent aux cursus imposés, de quatorze semaines à trois ans, sur les fondamentaux du nucléaire », précise Florence Schreiber.

Pour être attractifs, les industriels ont également élargi le champ des opportunités. A EDF, cela se traduit par près de 450 offres de stages et un renforcement de l’alternance (4 % de son effectif). « Nous diversifions également nos profils ; 150 candidats expérimentés sont embauchés chaque année, ce qui est nouveau. Egalement mise en place, notre démarche active pour attirer les femmes en leur démontrant que nos métiers leur sont accessibles », commente la DRH. GDF Suez, quant à elle, organisait jusqu’à l’année dernière les Nuclear Career Days à Bruxelles, qui attiraient quelque 700 visiteurs à chaque édition.

Cependant, les volumes de recrutement restent modestes. Le CEA a ainsi enregistré 250 prises de postes en 2009 sur le périmètre strictement “atomique”. Paul Talneau, DRH de l’Andra, évalue à 150 le nombre de nouvelles recrues d’ici à 2015. Plus importants, les besoins de la branche nucléaire d’EDF se situent autour de 1 200 personnes par an, réparties pour moitié entre ingénieurs et techniciens.

Reste Areva, sans doute le premier recruteur du secteur, qui a accueilli 12 000 personnes par an depuis quatre ans. « Moins de 15 % ont des profils nucléaires, type thermohydraulique ou sûreté. Le reste ? Du CAP chaudronnerie au bac + 5 généraliste avec de bonnes bases en mécanique », détaille Jérôme Eymery. Ce qui représente tout de même près de 2 000 experts.

Garder les seniors au-delà de 60 ans

Les entreprises restent vigilantes et tiennent leur pyramide des âges sous surveillance. C’est pourquoi la filière a les yeux de Chimène pour ses seniors. GDF Suez sait ainsi que dans les cinq ans, 1 200 retraités seront à remplacer, dont 400 ingénieurs. Cette année, le groupe a mis en place, pour les “majors” (internes ou externes à l’entreprise) sans expérience du nucléaire, une session de formation dédiée.

Pour sa part, le CEA a totalement changé sa politique RH, comme l’explique Jean-François Sornein : « Longtemps, les mises à la retraite étaient la règle. Aujourd’hui, non seulement ce sont les salariés qui choisissent leur date de départ, mais nous invitons nos experts à continuer avec nous au-delà de 60 ans, en particulier pour participer à des programmes de formation, entre autres internationaux, très­demandés. »

Collaborations post-retraite

EDF aussi fait passer le message auprès de ses seniors pour les inciter à rester. « Leur temps de travail est aménagé. Beaucoup font partie des 1 700 tuteurs d’EDF. Une fois partis à la retraite, nous pouvons aussi les solliciter dans le cadre de missions ponctuelles. Ils choisissent alors leur type de contrat dans le respect de la réglementation en vigueur : auto-entrepreneur, CDD… », explique Florence Schreiber. Des collaborations post-retraite sont également en place chez Areva, sous la forme de contrats de conseil accompagnés par Experconnect, société spécialisée dans la mise en contact entre anciens salariés experts et entreprises, avec qui le groupe a signé un accord en ce sens en juin 2008.

Rester vigilant sur les effectifs

Le propos est donc davantage de fidéliser. Quoique… Les taux de turnover de la filière ont de quoi faire pâlir certains DRH : 1 % chez Areva, autant chez EDF, moins de 2 % au CEA, alors que « nos salaires sont un peu inférieurs à la moyenne de l’industrie en France », confie Jean-François Sornein.

De quoi être serein ? Pas vraiment, estime Jean-Louis Ermine, doyen de recherche et expert auprès de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA, lire ci-dessous). L’explosion des projets dans le monde, avec 53 réacteurs en cours de construction, 142 planifiés et 327 à l’étude dans une quarantaine de pays, oblige à rester mobilisé. Ainsi, les experts britanniques du secteur annoncent une forte pénurie de compétences dans un pays où aucun réacteur n’a été construit depuis vingt-cinq ans. Et le patron du cabinet de chasseur de têtes Spencer Ogden, spécialisé dans l’énergie, prévient sur People Management, principal site d’information RH britannique, que la guerre des talents va rapidement monter en puissance…

L’essentiel

1 Dans les années 2000, l’industrie nucléaire a été confrontée à la rareté des profils qualifiés et à la menace imminente du papy-boom. Pour certains, le risque n’est pas écarté.

2 Pour pallier cette pénurie, le secteur s’est tourné vers l’enseignement supérieur, avec qui il a créé des contenus sur mesure ; et a par ailleurs enrichi son offre de formation interne.

3 Les entreprises ont également adapté leur politique de recrutement, axée sur une plus grande diversité des profils, et leur gestion des seniors, incités à rester.

Auteur

  • CÉLINE LACOURCELLE