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Enquête

Gérer durablement les salariés de l’été

Enquête | publié le : 22.06.2010 | ÉLODIE SARFATI

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Gérer durablement les salariés de l’été

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Qu’ils soient jeunes, professionnels du tourisme, pluriactifs… les saisonniers impliquent pour les entreprises des modes de gestion spécifiques en matière de recrutement, d’intégration et de fidélisation. En jeu : l’amélioration des conditions d’emploi et la reconnaissance de ces indispensables travailleurs temporaires.

Avec l’été vient le temps des bureaux désertés, parfois même des ateliers fermés… ou, au contraire, le début d’une activité saisonnière intense, réalisée pour une bonne part par des salariés qui ne passeront dans l’entreprise que quelques semaines ou quelques mois.

Combien sont-ils, ces employés saisonniers ? Difficile à dire, car aucun chiffre précis n’existe, même si les estimations tournent autour de 1,6 à 2 millions de personnes, dont 800 000 à 1,2 million dans l’agriculture. D’après le Fafih, l’Opca de l’industrie hôtelière, les saisonniers d’été du secteur seraient 300 000. Et la saisonnalité « représente 30 % des effectifs des sociétés d’assistance », indique Catherine Hénaff, DRH de la branche.

Si la crise a fait baisser les offres d’emploi en 2009 – à Nice, le Negresco a par exemple embauché 30 % de saisonniers en moins cette année-là – la pente tend à remonter en 2010, observe Katherine Khodorowsky, directrice de la communication du CIDJ, qui organise depuis une quinzaine d’années des forums jobs d’été. Les embauches, certes, se réalisent plus tardivement, les professionnels attendant de connaître la tendance touristique. Mais les emplois saisonniers représentent tout de même 37,5 % des intentions d’embauche de 2010, d’après l’enquête sur les besoins de main-d’œuvre réalisée par Pôle emploi.

Davantage de chômeurs longue durée

Difficiles à quantifier, les saisonniers ne sont pas plus simples à qualifier : artisans du cru complétant leur activité (les pluriactifs locaux), professionnels du tourisme naviguant entre la montagne l’hiver et la mer l’été ou jeunes en insertion composent les effectifs saisonniers. Néanmoins, la crise a fait un peu bouger les lignes, et l’on voit, dans les forums de recrutement saisonniers, de plus en plus de chômeurs de longue durée venir chercher des CDD d’été.

Entre 2003 et 2005, d’après l’Insee, les étudiants représentaient la moitié des embauches estivales. Le Groupe Flo s’ouvre largement à cette population, comme en témoigne Catherine Augereau Leloup, directrice de l’emploi et de la formation : « Pour remplacer les salariés en congés et assurer les couverts supplémentaires dus aux ouvertures de terrasses, nous accueillons environ 200 étudiants pour des jobs d’été. La plupart n’a pas, au départ, un parcours dans l’hôtellerie, mais certains se prennent au jeu et s’inscrivent ensuite à l’école hôtelière. Notre objectif est aussi là : leur donner envie de rester dans le secteur. »

Recherche de personnel très qualifié

Dans les palaces de la Côte d’Azur, la population n’est pas la même. Les saisonniers sont des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration, qui viennent chercher dans ces lieux de prestige une expérience valorisante dans leur quête de poste fixe. Ce qui ne fait pas du recrutement un exercice facile pour autant. « Nous recherchons, sur des métiers en tension, du personnel très qualifié. Dans notre restaurant étoilé, nous n’avons pas besoin d’un maître d’hôtel, mais d’un excellent maître d’hôtel, schématise Giovanni Gulino, directeur marketing et communication du Negresco, à Nice. Même si nous recevons beaucoup de candidatures spontanées, elles sont insuffisantes, d’autant qu’il y a beaucoup de palaces en concurrence sur la Côte d’Azur. »

Au Martinez, à Cannes, une journée de recrutement est organisée sur place, chaque année, pour trouver les perles rares. « Les candidats passent quatre entretiens, avec le chef de service, la direction du département, la DRH et, enfin, la direction générale », précise Stéphane Carrière, le DRH de l’hôtel. Un de ces contrats saisonniers sera d’ailleurs affecté au service RH, pour absorber le surcroît de gestion administrative généré par l’arrivée des 230 salariés supplémentaires de cet été.

A Disneyland Paris, la particularité tient au nombre des recrutements : chaque année, lors de la saison haute, 4 500 CDD viennent gonfler les effectifs de 9 500 permanents, avec un pic entre juin et août (lire p. 25). Le parc loge, par ailleurs, 3 000 saisonniers : « C’est un atout stratégique ; sans notre résidence, nous ne pourrions pas attirer les populations qui nous intéressent, reconnaît Jean-Noël Thiollier. Les saisonniers de Disney doivent notamment maîtriser 3 langues, dont le français et l’anglais. »

Des conditions de logement difficiles

Mais le cas est exceptionnel, et il faut souvent faire avec les moyens à disposition : le Martinez loge une quarantaine de saisonniers, soit sur place, soit dans des chambres louées dans une résidence de la mairie. En général, les salariés doivent donc se débrouiller. D’après une étude de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) réalisée à l’été 2007, 1 jeune saisonnier sur 5 est obligé de trouver un logement proche de son emploi ; 13 % affirment ne pas avoir de bonnes conditions de logement. « Certains sont contraints de vivre à 6 ou 7 dans un studio pendant toute la saison. D’autres dorment chaque nuit dans leur voiture et vont prendre leur douche le matin sur la plage », pointe l’enquête. Qui souligne aussi les difficultés de déplacement auxquelles ils sont confrontés. De fait, chez Elior, qui emploie chaque année 1 500 contrats d’été affectés à la restauration commerciale, notamment sur les autoroutes, il faut que les saisonniers puissent se rendre sur leur lieu de travail, confie Catarina Viana-Garcia, responsable emploi et recrutement.

Le manque de logement et les difficultés de transport sont régulièrement rappelés par les associations ou les syndicats qui, dès que commence la saison, informent et sensibilisent sur les conditions d’emploi des salariés estivaux. Pour la onzième année, la CFDT sillonnera la France en juillet et août pour aller à la rencontre des salariés et des employeurs concernés. Car, aussi essentiels soient-ils à l’activité économique des acteurs du tourisme, des exploitations agricoles, des commerces locaux et des sites culturels, les travailleurs de l’été sont aussi particulièrement exposés.

Un statut précaire

Les autres points noirs de l’emploi saisonnier ? « Les heures supplémentaires non payées, les amplitudes horaires, et le travail au noir, égrène Hervé Garnier, secrétaire national CFDT en charge de la politique des jeunes. Mais aussi le contenu du travail : souvent, des jeunes pensent faire un petit boulot sympa et se rendent compte que celui qu’on leur demande est beaucoup plus pénible. Cette première expérience avec le monde du travail peut s’avérer terrible pour eux. »

Mais la caractéristique principale de l’emploi saisonnier reste sa précarité (lire interview p. 29), certes plus ou moins bien vécue, selon qu’on est étudiant en quête d’un salaire d’appoint entre deux années d’étude, ou professionnel itinérant, enchaînant contrats courts et périodes de galère. L’Insee, qui a étudié les jobs d’été sur le littoral aquitain en 2006, montre que les saisonniers gagnent en moyenne 7,90 euros de l’heure. Surtout, la fidélité n’est pas récompensée : « Les saisonniers qui reviennent chez le même employeur à la saison suivante ne sont pas mieux rémunérés en moyenne que l’ensemble des saisonniers », souligne l’étude. Seuls les personnels de service dans les hôtels voient leur paye augmenter (de 60 centimes de l’heure) lorsqu’ils rempilent pour une deuxième année.

Prise de conscience

Néanmoins, Hervé Garnier constate que, lorsque les équipes CFDT vont à la rencontre des employeurs, les relations sont de moins en moins conflictuelles. Et, localement, des initiatives existent pour tenter d’encadrer le travail saisonnier. En Charente-Maritime, une convention a été signée en 2008 entre les professionnels de l’hôtellerie de plein air, des hôtels cafés restaurants, les syndicats et les pouvoirs publics (lire encadré). Depuis 2007, le Fafih finance 21 heures de formation par an aux saisonniers ; 1 500 personnes en ont bénéficié. Autant de pistes que le 1er forum social des saisonniers se propose de faire partager fin 2010 (lire p. 29). Et qui pourraient trouver une résonance auprès du député des Vosges François Vannson, à qui Laurent Wauquiez a confié en début d’année une mission sur le développement de l’emploi en zone de montagne. Dans ce cadre, précise Camille d’Olonne, chargée de mission au ministère de l’Emploi, « les questions de la déprécarisation des saisonniers, du développement de la formation et de la compatibilité des emplois d’été et d’hiver seront étudiées ». En d’autres termes, il s’agit de jeter les bases d’une meilleure sécurisation des parcours.

Fidéliser les saisonniers

Pour les entreprises, la question se pose davantage en termes de fidélisation et de qualification. D’où le soin qui peut être apporté aux formations lors de la prise de poste. « Les jeunes qui prennent un poste de chargé d’assistance, mais ne se destinent pas forcément au départ à ce type de métier, suivent en général 15 jours de formation, dont une phase de mise en situation », assure Catherine Hénaff.

D’où, aussi, l’importance d’inciter les salariés à revenir la saison suivante. Au Martinez, « chaque saisonnier a une évaluation de fin de mission. S’il a donné satisfaction, et s’il le souhaite, nous lui garantissons de retrouver son poste la saison suivante », explique Stéphane Carrière, qui envisage de faire un questionnaire de satisfaction auprès du personnel, y compris des saisonniers. Une centaine d’entre eux reviennent chaque année travailler dans le palace cannois.

Et, lorsque les entreprises ouvrent des postes permanents, les saisonniers sont naturellement sollicités. Chez Elior, 10 % des contrats d’été sont transformés en CDI. Au groupe Flo, les étudiants peuvent se voir proposer des contrats à l’année, compatibles avec leurs horaires de cours. Mais encore faut-il que la conjoncture s’y prête : Disneyland Paris a recruté en CDI 600 saisonniers en 2008 et… aucun en 2009.

L’essentiel

1 Indispensables l’été dans bon nombre de secteurs, les saisonniers constituent une population hétérogène, souvent jeune.

2 Pour les entreprises, l’enjeu est de recruter, d’intégrer et de fidéliser des salariés qualifiés.

3 Manque de logements, salaires bas et précarité : les conditions de travail des saisonniers restent globalement difficiles.

Un titre de séjour après vingt-huit ans de travail saisonnier

→ Ils sont 4 000 saisonniers étrangers, venus du Maghreb pour la plupart, à tourner dans les exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône en enchaînant, parfois depuis trente ans, des contrats OMI (Office des migrations internationales). Des contrats systématiquement renouvelés et prolongés jusqu’à huit mois par l’administration.

→ Pour faire reconnaître les droits de ces salariés, le Codetras (Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture) avait, en 2007, saisi la Halde. Laquelle avait recommandé, début 2009, la requalification de ces contrats en CDI. Pour la Haute autorité, « le détournement abusif des contrats OMI » a conduit à discriminer ces saisonniers, exclus des « dispositions relatives à l’emploi et à la protection sociale » (chômage, couverture maladie, retraite…). La Halde considérait également que ces saisonniers devaient se voir délivrer un titre de séjour. Sur ce dernier point, le Conseil d’Etat vient de donner raison à un saisonnier marocain, employé depuis vingt-huit ans dans la même ferme des Bouches-du-Rhône. Il a condamné en mai dernier l’Etat à lui verser 3 000 euros d’indemnités et à lui attribuer une carte de séjour.

Une convention à faire vivre sur le terrain

→ En mai 2008, en Charente-Maritime, une convention de l’emploi saisonnier est signée entre les syndicats, la Fédération départementale de l’hôtellerie de plein air (FDHPA), l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih 17), le service public de l’emploi, la préfecture, la direction du travail, le conseil général et le CIL (collecteur du 1 % logement). Objectif : redorer l’image des entreprises du secteur qui peinent à recruter et à fidéliser, en améliorant les conditions d’emploi et de travail des saisonniers accueillis.

→ Au-delà du rappel des droits et devoirs de chacun, la convention crée une carte de suivi médical et un passeport de compétences destiné à faciliter la reconnaissance et la professionnalisation des saisonniers. Trois passeports existent à ce jour, précise Annie Rocheteau, secrétaire du l’union départementale CFDT pour les métiers de la cuisine, ceux du service et ceux de l’accueil.

→ Mais il faut maintenant faire vivre la convention, reconnaissent les signataires, c’est-à-dire « faire le représentant de commerce auprès des adhérents », illustre Raymond Moreau, président de la FDHPA 17, qui souligne que ceux-ci ne sont pas toujours réceptifs. Cinq d’entre eux ont signé la convention en 2009, et Raymond Moreau en espère dix fois plus cette année. De son côté, la CFDT distribuera la convention et le passeport compétences lors de la déclinaison locale de sa campagne nationale pour les saisonniers.

Disneyland Paris recrute au-delà des frontières

→ En juin s’est achevée la campagne de recrutement des saisonniers de Disneyland Paris. Un véritable tour d’Europe, démarré six mois plus tôt – juste avant le début de la saison février-septembre. « Pour recruter 4 500 personnes, il faut en rencontrer 10 000 et donc en solliciter 40 000 à 50 000, ce qui n’est pas possible à l’échelle de la région », explique Jean-Noël Thiollier, directeur du recrutement et des rémunérations, qui n’hésite pas à faire l’analogie entre recrutement de masse et chaîne logistique.

→ De fait, les recrutements se déroulent dans une douzaine de pays soigneusement sélectionnés, en fonction du taux de chômage local – et donc de la demande potentielle –, du taux de pénétration de l’industrie des loisirs – indice des compétences disponibles – et de la réputation de la marque.

→ La suite de la procédure est tout autant millimétrée : au bout de sept jours, le candidat obtient la réponse du parc. Si celle-ci est positive, « nous envoyons un e-mail de confirmation avec la proposition de poste dans les 48 heures. Le candidat a ensuite 24 heures pour confirmer son intérêt. Puis nous éditons le contrat et nous l’invitons aux sessions de formation, qui durent six jours et jusqu’à cinq semaines pour le personnel de la centrale de réservation. » Un tuteur accompagne ensuite les nouvelles recrues et valide ou non la période d’essai.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI