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La «performance sociale» : un nouvel étalon pour les bonus ?

Les pratiques | publié le : 04.05.2010 |

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La «performance sociale» : un nouvel étalon pour les bonus ?

Crédit photo

L'introduction de critères sociaux ou environnementaux dans la rémunération variable des managers dirigeants apparaît comme un moyen privilégié de rompre avec une logique de court terme. Certaines grandes entreprises s'y convertissent mais la définition des indicateurs reste périlleuse.

Un an après avoir été érigés en symbole de la soumission des entreprises à la dictature du court terme financier à la suite d'une série de scandales, les bonus des dirigeants font de nouveau parler d'eux. Alors que la nécessité de fonder un nouveau modèle social d'entreprise est sur toutes les lèvres, un consensus a peu à peu pris forme : la performance économique ne peut plus être le seul critère d'attribution de la rémunération variable des managers. Dans leur rapport sur le bien-être et l'efficacité au travail rédigé à la demande du Premier ministre et publié le 17 février, Henri Lachmann (président du conseil de surveillance de Schneider Electric), Muriel Pénicaud (DRH de Danone) et Christian Larose (vice-président du Conseil économique, social et environnemental) ne disent pas autre chose : « La performance sociale doit aussi être prise en compte, incluant notamment des indicateurs de santé, de sécurité et de conditions de travail, tels que le turn-over, les accidents du travail, la satisfaction des salariés ou la promotion interne. »

La nécessité de « réinventer l'entreprise en liant les rémunérations des dirigeants à des critères sociaux et environnementaux débattus avec les représentants du personnel » figure également parmi les 15 propositions « pour sortir de la crise » élaborées en janvier par la CFDT. « Les leçons de la crise économique doivent être tirées, souligne Marcel Grignard, le secrétaire général adjoint. L'intégration de critères sociaux, environnementaux ou sociétaux dans le calcul de la rémunération du top management comme des managers de terrain doit permettre de rompre avec l'irresponsabilité des comportements que l'on a pu constater depuis vingt ou trente ans. »

Une dizaine d'entreprises du CAC 40 communiquent

Du côté des entreprises, le message semble avoir été reçu. Dans leur baromètre annuel de la gouvernance extra-financière des entreprises du CAC 40, publié le 13 avril, l'agence de communication financière et extra-financière Capitalcom, l'Institut français des administrateurs (IFA) et l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) notent que, pour la première fois cette année, une petite dizaine de groupes tels que le Crédit agricole, France Télécom, GDF Suez ou Vivendi ont communiqué sur l'intégration de critères sociaux dans le calcul de la part variable de leurs managers.

Chez France Télécom, la mesure tient une belle part dans le plan d'action élaboré pour répondre à la crise sociale traversée par le groupe et qui a été présenté le 25 mars par la nouvelle équipe dirigeante. La notation, dont les critères définitifs devraient être précisés avant l'été, sera appréciée à l'aide d'une batterie d'indicateurs, tels que le taux d'absentéisme, actuellement plus élevé chez France Télécom que dans d'autres entreprises de taille comparable, ou encore un indice de satisfaction des salariés, élaboré par un cabinet extérieur. Environ 1 100 cadres devraient être concernés.

Pratiques balbutiantes

Dans une étude publiée fin janvier, le Forum européen pour l'investissement responsable, Eurosif, soulignait que 29 % seulement des 300 plus grandes entreprises européennes cotées examinées avaient mis en place un système de rémunération lié à des performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). « Les entreprises cherchent actuellement leurs marques sur le sujet », explique François Fatoux, délégué général de l'Orse, qui évoque un « balbutiement » dans les pratiques. « La définition des critères est évidemment cruciale, d'autant que, contrairement à celle des critères extra-financiers mis en place dans les accords d'intéressement, elle fait encore rarement l'objet d'un débat avec les représentants du personnel. »

Première erreur à éviter : instaurer des critères trop éloignés des enjeux stratégiques de l'entreprise, qui feraient figure de vernis social ou environnemental. « Pour Vivendi, les critères pris en compte à partir de 2010 dans la rémunération variable des dirigeants ont été définis à partir des enjeux de développement durable spécifiques au groupe tels que l'accompagnement de la jeunesse dans ses pratiques médiatiques ; la promotion de la diversité culturelle ou le partage des connaissances. Les critères relèvent du savoir-faire et du positionnement des métiers de Vivendi. Ils doivent être vérifiables. Aussi avons-nous demandé à l'agence de notation sociale Vigeo de nous accompagner dans le suivi de ces critères », explique Pascale Thumerelle, directrice du développement durable du groupe de communication.

Enjeu stratégique ou «poudre aux yeux» ?

Chez le spécialiste des matériaux de construction Lafarge, en revanche, la sécurité des salariés est un véritable enjeu stratégique. Depuis 2007, 30 % de la performance individuelle des managers dans l'ensemble du groupe (correspondant elle-même à un tiers de la part variable) sont calculés sur la base d'indicateurs qualitatifs liés à la sécurité. « Nous avons conscience des effets pervers des indicateurs quantitatifs dans ce domaine, notamment en termes de risques de sous-déclaration, souligne Thomas Bork, directeur rémunération globale et avantages sociaux. L'amélioration de la culture et des pratiques est donc évaluée au travers de questionnaires remplis par nos clients et nos salariés. »

Pour ne pas être accusées de chercher à maintenir le niveau de la rémunération de leurs dirigeants dans un contexte où les objectifs financiers sont plus difficiles à atteindre, les entreprises devront également veiller à ne pas fixer de critères de performance sociale trop faciles à atteindre. A en croire l'étude d'Eurosif, l'écueil est plus fréquent qu'il n'y paraît. Directeur général du cabinet d'expertise Technologia, Jean-Claude Delgenes ne cache pas son scepticisme quant à l'émergence de ces nouvelles pratiques qu'il qualifie de « poudre aux yeux » : « On est allé trop loin dans la direction par objectifs, explique-t-il. Ajouter une nouvelle couche d'indicateurs, quand bien même ils seraient «sociaux» ou «environnementaux», ne changera rien à l'affaire. Les managers continueront à subir la pression inhérente à cette logique. Ce sont les règles qu'il faut modifier en profondeur, pas les objectifs. Or ce ne sera possible que lorsqu'on aura démontré qu'une entreprise qui prend soin de ses salariés est profitable, non à court, mais à moyen et long termes. »

Danone : équilibrer performance économique et performance sociétale

Eté 2007 : une semaine après avoir annoncé la vente de son pôle biscuits à Kraft Foods, Danone rachète, pour 12,3 milliards d'euros, le numéro un européen de la nutrition pour bébé : le groupe néerlandais Numico. « Le nouveau contour du groupe, qui se donne pour mission la santé par l'alimentation, se précise, explique Pascal Desbourdes, directeur du développement des dirigeants. Le virage est important et nous souhaitons marquer le coup en inscrivant dans nos politiques de rémunération ce projet d'entreprise qui vise à équilibrer performance économique et performance sociétale dans la durée. »

Jusqu'alors exclusivement assise sur des critères économiques, la part variable de 1 500 managers - des membres du comité exécutif au management des filiales - se répartit désormais équitablement entre la performance économique, managériale et sociétale, cette dernière partie se décomposant elle-même en trois objectifs : réduction de l'empreinte écologique du groupe, réduction des accidents du travail et développement des compétences et de la promotion interne.

Eviter tout effet de mode

En cohérence avec ses performances initiales, chaque filiale définit, année après année, ses propres ambitions par rapport à ces orientations de groupe. « Dans le cadre du dialogue social, les partenaires sociaux ont demandé à être rassurés sur deux points, précise Pascal Desbourdes. La permanence des orientations pour éviter tout effet de mode et l'équilibre des indicateurs entre eux pour limiter la pression que pourrait générer l'introduction d'un indicateur sociétal isolé. »

A. D.

L'essentiel

1 La performance économique ne peut plus être le seul critère d'attribution de la rémunération variable des managers.

2 L'intégration de critères sociaux, environnementaux et de gouvernance dans les bonus n'en est qu'à ses débuts.

3 Ces critères doivent répondre à des enjeux stratégiques, sous peine de n'être que de la «poudre aux yeux».

Alexandra Devic DRH de Médica

« Performance économique et performance sociale sont souvent perçues comme des réalités antinomiques, voire contradictoires. Lorsqu'on a, comme c'est le cas chez Médica depuis une dizaine d'années, une tradition d'évaluation de la performance sociale et sociétale, notamment au travers d'une démarche qualité, d'un questionnaire de satisfaction clients ou d'un baromètre social, on se rend vite à l'évidence qu'il n'en est rien.

Les équipes dirigeantes de nos maisons de retraite l'ont bien compris puisqu'elles ont elles-mêmes demandé que des critères de performance sociale soient intégrés au calcul de leur rémunération. Aujourd'hui, la part variable de 300 managers de Médica est donc indexée à 40 % sur des critères sociaux, parmi lesquels les résultats du questionnaire de satisfaction clients ainsi que ceux du baromètre social, l'importance des moments d'échanges avec les équipes des établissements ou encore le taux d'absentéisme et de turn-over. Il est d'ailleurs intéressant de noter à quel point des indicateurs «historiques» comme l'absentéisme ou le turn-over, qui relevaient il y a encore une dizaine d'années de la simple gestion du personnel, sont aujourd'hui considérés comme un critère essentiel de satisfaction des salariés. »