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La méthode du gouvernement irrite, mais les lignes bougent

Enquête | publié le : 04.05.2010 |

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La méthode du gouvernement irrite, mais les lignes bougent

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Le name and shame de Xavier Darcos n'a pas permis, selon les professionnels des RH, d'engager une réflexion sur le fond. Pourtant, sous la pression du ministère et des juges, la plupart des DRH de grands groupes ont dû boucler le dossier de la prévention du stress avec un accord ou un plan d'actions, pour assurer l'attractivité de leur entreprise... mais le plus souvent en excluant la question délicate de l'organisation du travail.

Enfin ! Du fait de la pression médiatique, des contraintes légales et des risques juridiques, des entreprises de plus de 1 000 salariés s'attaquent au stress et aux risques psychosociaux. Selon l'étude ANDRH-Inergie pour Entreprise & Carrières, 55 % des DRH concernés (soit 146 répondants) ont engagé un plan d'actions (42 %) ou signé un accord (13 %). Un tiers fait encore l'autruche. De son côté, la cellule «risques psychosociaux» de la direction générale du Travail, créée dans le cadre du plan d'urgence pour la prévention du stress au travail lancé par Xavier Darcos en octobre 2009, recense 200 accords, les trois quarts étant des accords de méthode qui fixent un cap. S'y ajoutent 200 plans d'actions concertés et 130 plans unilatéraux.

Pourtant, notre sondage révèle que la prévention des risques psychosociaux arrive seulement en 4e position des sujets sur lesquels les RH se mobilisent (37 % des réponses), derrière la fidélisation des talents (42 %), la GPEC (59 %) et le dialogue social (60 %). « Ces thématiques ne s'opposent pas, relativise Jean-Claude Delgenes, DG du cabinet Technologia, mandaté notamment par Renault et France Télécom, confrontées à des suicides de salariés. Un bon dialogue social est au coeur de la prévention des risques psychosociaux, car il contribue à briser l'isolement et à reconstituer les collectifs de travail. »

Même si le gouvernement a reculé presque aussitôt sous la menace du patronat, la politique du name and shame impulsée par l'ancien ministre du Travail, et qui blâmait les mauvais élèves, a indéniablement porté ses fruits. Et ce, quoi qu'en pensent les deux tiers des grandes entreprises interviewées qui la jugent inefficace en l'état. Près d'une entreprise sur deux (49 %) avoue que les contraintes légales l'incite à faire évoluer ses pratiques RH et, dans une moindre mesure, les risques juridiques (28 %).

En la matière, les juges ont accentué la pression. En décembre dernier, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre reconnaissait la faute inexcusable de Renault dans le suicide d'un de ses salariés. Dans un arrêt du 10 novembre 2009, la chambre sociale de la Cour de cassation admet que « les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral ».

Information judiciaire contre X

Plus récemment, le Parquet de Paris a ouvert une information judiciaire contre X pour harcèlement moral après la plainte déposée par SUD-PTT en décembre 2009 contre France Télécom et trois de ses dirigeants, dont le DRH d'alors. L'avocat de SUD, Jean-Paul Teissonnière, pourra s'appuyer sur le procès-verbal au vitriol de l'inspectrice du travail Sylvie Catala, qui dénonce « une mise en danger d'autrui » et des méthodes de gestion « caractérisant le harcèlement moral ». En attendant, l'opérateur, dont l'Etat reste l'actionnaire majoritaire, ressemble encore à un bateau ivre. Et malgré les engagements du nouveau directeur général Stéphane Richard - négociation d'un pacte social, arrêt des mobilités forcées, emploi - le décompte macabre continue (11 suicides depuis le début de l'année). Et il a de quoi marquer les esprits, bien au-delà des murs de l'entreprise.

Difficile remise en cause de l'organisation du travail

Mise en place d'observatoires du stress, évaluation des risques, formation des managers, numéro vert d'écoute... Concrètement, les entreprises rechignent pourtant à remettre en cause l'organisation du travail, comme le révèle notre sondage. Ainsi, les actions engagées touchent majoritairement la détection des risques (79 %), l'implication des partenaires sociaux (65 %), la formation des managers (62 %), l'évaluation des conditions de santé et de sécurité au travail (59 %). A l'inverse, un tiers seulement mènent une réflexion sur l'organisation du travail et sur l'impact des changements sur les salariés.

« Certains accords d'entreprise peuvent se révéler piégeurs dans la mesure où ils instaurent des cellules spécifiques qui vident les CHSCT de leurs prérogatives, commente Bernard Salengro, de la CFE-CGC. Mais on commence à tourner autour des problèmes. Quand je regarde quatre à cinq ans en arrière, je me console. » Jean-François Naton, conseiller CGT en charge du travail, de la santé et de la protection sociale, abonde dans le même sens : « La majorité des accords d'entreprise restent moins ambitieux que les accords nationaux sur le stress et la violence au travail et ne s'attaquent pas véritablement aux problèmes. » Du coup, les accords conclus chez Michelin, EADS, GDF-Suez, ou encore Danone (lire ci-dessous) sont à l'avant-garde.

Formation à la détection du stress

EADS, par exemple, s'engage à « mieux prendre en compte l'aspect humain de ses projets de changement afin d'identifier leurs facteurs potentiels de stress et d'en atténuer les conséquences ». Tout en rappelant l'importance du CHSCT, l'avionneur prévoit la désignation de «capteurs» internes volontaires, qui bénéficieront d'une formation pour répondre aux salariés en détresse. Même chose chez Michelin, qui va continuer la formation des pivots tels que le service de santé au travail, le management, les IRP. Un groupe d'évaluation pluridisciplinaire (CHSCT, médecin du travail, RRH, responsable environnement...) sera aussi chargé d'analyser les fonctions et métiers comportant le plus de risques et sur lesquels agir en priorité. Dans son accord-cadre, GDF-Suez reconnaît que « l'organisation du travail s'avère être un facteur de risques important » et prévoit « d'inclure dans le diagnostic une réflexion sur l'influence des organisations sur les conditions de travail. »

S'attaquer aux racines du mal

Confronté à plusieurs suicides de salariés au sein de son technocentre en 2007, Renault s'est en partie attaqué aux racines du mal, notamment en étoffant son service de médecine du travail, en créant de nouvelles fonctions de RH de proximité et en réduisant l'amplitude horaire. Reste que la crise a fait bouger les lignes. Aujourd'hui, ce n'est plus tant le surmenage que la crainte de perdre son travail qui tétanise les salariés de Renault, comme ailleurs.

Danone : un accord bientôt mondial

Après deux ans de réflexion, Danone a signé, le 11 mars dernier, un accord-cadre sur le stress et les risques psychosociaux, qui a fait l'unanimité syndicale. Le texte sera décliné dans chaque société du groupe de Franck Riboud d'ici à six mois et servira de base à la négociation sur la santé, la sécurité et le stress au niveau mondial avec l'UITA.

S'inspirant du rapport «bien être et efficacité du travail» auquel a participé sa DRH Muriel Pénicaud, Danone « reconnaît sa responsabilité et son obligation d'agir face aux cas de stress dus à des problèmes liés au travail ».

En plus d'un observatoire du stress généralisé à tous les sites et d'un suivi trimestriel des indicateurs usuels de climat social (absentéisme, accidents du travail, turn-over...), le texte prévoit d'examiner les conséquences sociales des réorganisations : « Toute démarche de changement faisant l'objet d'une information-consultation sera précédée d'une étude d'impact humain, c'est-à-dire d'une analyse des conséquences humaines du changement, y compris les risques psychosociaux, la charge de travail, l'ergonomie et les besoins de compétence. »

« L'impact social des réorganisations ne sera pas facile à mettre en oeuvre et Danone doit encore travailler cet aspect. Il reste un peu de travail pour définir la méthodologie de conduite des études d'impact social de la mise en place de nouvelles organisations : elles concernent des projets significatifs, il ne faut pas que le moindre changement soit prétexte à des expertises sans fin », nuance Marc Grosser, directeur des affaires sociales et de la responsabilité sociétale.

Rejetant l'idée d'un monsieur Stress, l'accord évoque une vigilance collective, se référant aux IRP, à l'encadrement, aux responsables RH et à la médecine du travail.

« La CFDT, rejointe par une intersyndicale, s'est appuyée sur les conclusions du groupe paritaire pour rédiger une contre-proposition à la direction », se félicite Bruno Largillière, DSC CFDT Danone produits frais, insistant sur « l'importance de redonner du sens au travail ». « Les deux parties ont su évoluer. Au départ, les syndicats étaient opposés au concept de vigilance collective, craignant que les responsabilités ne se diluent. Nous avons su adopter une approche prenant plus en compte l'influence de l'organisation du travail », complète Marc Grosser.

S. D.

Thierry Raulin DRH de JCDecaux

« L'émoi engendré par la vague de suicides au sein de sociétés emblématiques a déclenché un écho médiatique jamais vu jusqu'ici. Le stress au travail est-il un problème qui atteint actuellement un véritable paroxysme, ou notre vision et nos attentes en matière de qualité de vie au travail ont-elles changé ? Selon les enquêtes périodiques de la Dares, plus d'un salarié sur deux travaillerait dans l'urgence et plus d'un sur trois déclare vivre des situations de tension dans ses rapports avec ses collègues ou sa hiérarchie. Y a-t-il réellement une dégradation ? Alors que nous n'avons jamais autant parlé de management participatif, autant consacré de budgets conséquents à la formation de l'encadrement et au développement des assessment centers, autant accompagné nos cadres avec des coachs, nous avons parfois tendance à vouloir nous persuader que «avant, c'était mieux».

Je me remémorais le temps où, jeune DRH, je découvrais les archives photographiques des années 1970 de l'entreprise que je venais de rejoindre. Sans même évoquer le temps de travail - sans rapport avec le temps libre dont les salariés bénéficient aujourd'hui ! -, bien plus largement, les modes de gestion du personnel d'alors étaient pour le moins sujet à un stress permanent. Souvenez-vous des chaînes bruyantes aux cadences infernales à l'image des Temps modernes, des pools de secrétaires positionnées en rang comme à l'école, replongez-vous dans les règlements intérieurs d'alors, regardez les organisations et le déficit de parité et de diversité, le peu d'investissement dans l'amélioration des conditions de travail et la formation...

Le thème du stress au travail est par nature complexe et, aujourd'hui, dans un contexte de chômage et de crainte de perdre son emploi, particulièrement pressant. Les facteurs de tension susceptibles de créer des risques psychosociaux sont nombreux et divers. Ils peuvent être liés aux exigences du travail, à la nature des tâches, à l'organisation du travail, aux exigences des salariés vis-à-vis de leur travail, à la politique de ressources humaines, aux relations de travail, aux difficultés rencontrées avec les supérieurs hiérarchiques, les subordonnés, les collègues, à un vécu difficile des changements... La médiatisation de la souffrance au travail aurait-elle conduit à libérer la critique ? Tous les dirigeants sont concernés par le bien-être des collaborateurs. Il en va de la morale comme de l'économie. De nombreuses enquêtes internationales attestent que les entreprises où il fait bon vivre sont les plus performantes. Alors, sans cynisme, soyons juste humains ! »